Twilight peinait à faire avancer son raisonnement. Elle était incapable de mettre un nom et de cerner avec précision cette impression étrange qu’elle avait eue vis-à-vis du sang d’Harmonie.
C’était une sorte d’écho lointain, un souvenir vague et flou d’une époque qu’elle ne parvenait pas à se rappeler. Sa mémoire lui faisait-elle défaut ? Elle en doutait. Il était plus probable que la trop faible quantité de sang rendait cette impression plus ténue, et Twilight était certaine que si la blessure avait été plus profonde et le sang plus abondant, elle aurait identifié avec certitude les souvenirs qu’elle évoquait.
Elle tenta de se concentrer, afin de relier les différents ressentis qu’elle avait eus. Ces étranges énergies apaisaient son âme tourmentée, lui rappelant Canterlot et la présence rassurante de la Princesse Celestia. Y avait-il un quelconque lien à rechercher entre Harmonie et la famille royale ?
Comment expliquer qu’Harmonie était liée à Discord au point de rêver de lui alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés et que la jeune femme ne l’avait jamais vu auparavant ?
Fallait-il orienter les recherches sur les liens unissant Discord à la famille royale de Canterlot ?
Si tel était le cas, pourquoi Harmonie était née dans ce monde, si ses origines se trouvaient à Equestria ?
Twilight ne comprenait rien. Absolument rien, et la frustration de l’échec la rendait folle. Pourtant, jusqu’alors, aucun mystère ne lui avait résisté, pas même la prophétie annonçant le retour de Nightmare Moon, si l’on excluait le sixième sens étonnant de Pinkie. Il fallait cependant se rendre à l’évidence, la licorne mauve ne disposait pas d’assez d’éléments de base pour construire une théorie stable.

Elle mit sa réflexion en pause, préférant s’occuper l’esprit à autre chose, et décida d’observer un peu ses amis, afin d’essayer de découvrir les troubles de chacun.
L’ambiance générale du groupe n’avait guère évolué depuis plusieurs jours, restant morose au possible. Bien que la gravité de la blessure d’Harmonie était moindre, la jeune femme avait pris un violent coup au moral. A son tour, elle s’était rendu compte que personne n’était à l’abri. Pour l’heure, elle avait le regard perdu dans le vague, affichant un air absent.
Les yeux de Twilight se posèrent ensuite sur Pinkie Pie.
La ponette faisait peur à voir. Ses yeux, quoique masqué par une longue frange dans le cas de l’œil droit, lançaient des éclairs de colère et de hargne. L’expression relativement fermée de son visage contrastait fortement avec son regard assassin, et laissait présager du pire. Pour Twilight, Pinkie était devenue une cocotte-minute que la plus petite stimulation pourrait faire exploser. C’était compréhensible, les mauvaises nouvelles s’accumulant ces derniers temps avaient eu raison de sa gaieté survoltée habituelle, qui, Twilight le savait, masquait un mental, au fond, triste et dépressif. Bien qu’intéressant en matière de psychanalyse, le cas de Pinkie était surtout préoccupant. Dans un tel état, toute décision qu’elle prendrait aurait de dramatiques conséquences, car la colère et la tristesse n’ont jamais été de grandes amies de la raison.
Rarity, allongée à côté de Pinkie, fixait le bois rougeoyant du feu, comme si elle cherchait à y déceler un quelconque signe. Twilight allait déplacer son regard lorsqu’elle vit les yeux de Rarity faire un rapide aller-retour dans la direction de Loki, qui s’était étalé sur le côté de tout son long, en face de Twilight. Cette dernière fut surprise et surtout piquée au vif par cette œillade soudaine et gratuite. Se pouvait-il que… ?
Naturellement, la bibliothécaire tourna son regard vers le coyote lui-même, qui fixait également les flammes, ne cillant presque pas. Il semblait plongé dans une profonde réflexion.
Lorsqu’il se rendit compte que Twilight l’observait, son œil ambré vint croiser le regard améthyste de Twilight, et sembla lui intimer mentalement « fiche-moi la paix ». Sans comprendre, Twilight lui rendit un regard inquisiteur, qui lui fit détourner l’œil avec un soupir. Il n’était pas d’humeur à engager le conflit, lui d’ordinaire si sarcastique, et s’attelait à des considérations dont Twilight ne parvenait pas à saisir la nature réelle, tout en se doutant que cela avait probablement rapport avec Rarity.
S’étaient-ils tous deux découvert une passion secrète l’un pour l’autre ? Rarity était-elle donc la raison pour laquelle Loki avait rejeté l’amour de Twilight ? S’était-il déjà passé quelque chose entre eux dans cet hôpital ?
Si Twilight était sur la bonne piste, elle le saurait rapidement. Une colère sourde commença à monter en elle. Rarity voulait lui prendre Loki, elle en était certaine. Lorsqu’elle réalisa qu’elle jalousait son amie, la licorne mauve s’en voulut, et laissa à nouveau les choses en suspens, attendant d’avoir de nouveaux éléments pouvant lui permettre de légitimiser son ressentiment envers Rarity. Mais son instinct lui murmurait qu’il fallait garder la styliste à l’œil.
- C’est quoi la suite des évènements, Mon’ ? demanda Applejack au bout d’un moment. On reste ici ? On bouge ? On a un nouvel objectif ?
Harmonie secoua la tête.
- Pas vraiment, non. Il faut qu’on s’éloigne de cet endroit en priorité, donc on partira demain matin dès que possible. Je ne vois pas ce qu’on peut vraiment faire de plus.
- Pff... On fait jamais rien, on fait que marcher toute la journée, ça devient lourd comme routine, maugréa Rainbow Dash.
- Je suis assez d’accord avec Rainbow, approuva Rarity. Depuis que nous sommes dans ces montagnes nous ne faisons que fuir sans savoir où aller. Je sais bien que le danger est partout et que c’est pour ça que nous ne pouvons rester au même endroit, mais justement, chaque jour nous rencontrons un nouveau danger mortel.
- On va tous claquer si on continue comme ça, reprit le pégase cyan. A chaque fois on n’est pas de taille à combattre sans problème, et l’un de nous se fait estropier. Moi et mes ailes, Loki et son œil, AJ et sa patte, Twilight qui a peur du noir… C’est quoi la suite ? Pinkie qui se prend un trauma crânien ? Quoique ça changerait pas de d’habitude. On devrait vraiment changer de plan, ajouta-t-elle après avoir essuyé le regard meurtrier du poney rose.
- Et quoi donc ? répondit la jeune femme sur un ton cassant. On peut très bien se fixer ici en attendant d’être repérés par une meute de raptors, pourquoi pas. Ou par des démons, encore mieux.
- Toi et Loki aviez dit que les démons ne pouvaient pas quitter les villes, glissa timidement Fluttershy.
- Et si on s’était plantés ?
- On s’est pas plantés. Ces salopiots ont pas assez d’énergie, je l’ai dit, soupira Loki sans bouger.
- Et si, justement, c’était en bougeant qu’on arrivait à chaque fois sur le territoire des monstres ? souleva Rainbow Dash, décidée à imposer son point de vue. Je te rappelle que c’est parce qu’on a voulu passer la nuit dans un chalet que je me suis fait démonter les ailes. C’est parce qu’on a voulu aller chercher de l’eau sur le chemin qu’Applejack s’est fait bouffer par un kaernk ! C’est parce qu’on a dû venir ici que tu t’es fait déchiqueter le poignet ! Si dès le début on s’était fixés près d’un cours d’eau, on n’aurait pas eu de problème !
- Très bien. Maintenant explique-moi comment tu aurais repoussé les prédateurs et les gens qui auraient pu s’en prendre à nous ?
- Mais j’en sais rien ! On aurait construit des barricades, on aurait fabriqué de quoi se défendre, un peu comme dans tous les films d’action qu’on voit !
- Redescend sur Terre ! aboya Harmonie. On n’est pas dans un film, ici c’est la vraie vie, et on est en sécurité nulle part, qu’on bouge ou pas !
- Bien sûr qu’on est en sécurité ! On a toujours pas de nouvelles de Discord, et c’est bien ce que tu voulais, non ? Alors pourquoi tu nous envoie sans cesse nous faire massacrer ailleurs ?
- Moi ? Alors c’est moi qui suis responsable de tout ce qui nous arrive ? c’est moi qui ai été mettre le kaernk dans cette mare, et moi qui ai appelé les raptors, c’est ça ?
- J’ai pas dit ça !

Fluttershy s’était déjà recroquevillé et se cachait du mieux qu’elle pouvait derrière ses longs cheveux. Elle avait toujours détesté les éclats de voix, les gens qui se disputent, car cette démonstration de mésentente la rendait triste. A ce moment, elle était totalement effondrée. Ses amies, qui d’ordinaire s’entendaient si bien, recommençaient à se disputer, comme quand Discord les avait montées les unes contre les autres… Ne voyaient-elle pas que la situation était grave, et qu’il fallait mobiliser son énergie pour autre chose que des disputes stériles ?
Fluttershy commença à sangloter doucement. Elle priait pour que tout cela cesse et qu’elles fassent la paix.
Elle fut rapidement déçue. Les choses commencèrent même à empirer.
Pinkie se dressa sur ses pattes arrières, et hurla à pleins poumons :
- TAISEZ-VOUS !!

Tous la regardèrent avec un air surpris. Même l’apathique Loki avait consenti à lever un œil vers elle.
- Ecoutez, dit Pinkie, le seul moyen pour qu’on soit définitivement tranquilles et qu’on sache à quoi s’attendre, c’est d’aller se rendre à Discord !

La stupéfaction se fit plus intense encore dans le groupe.

- Pinkie, tu n’es pas sérieuse, tenta d’ironiser Twilight.
- Bien sûr que si ! Ici, on fait que se faire massacrer petit à petit ! On finira tous par mourir ! Au moins, avec Discord, on sait qu’il ne nous fera pas de mal directement, parce que s’il avait eu l’intention de nous tuer, il l’aurait déjà fait !

Un ange passa.

- Elle marque un point, avoua Applejack à contre-cœur.
- Peut-être, mais on va pas le laisser gagner si facilement, si ? demanda Rainbow Dash, qui avait soudain perdu sa hargne et son assurance.
- On aurait fait tout ce chemin pour rien, ajouta Twilight, on ne peut pas abandonner.
- Mais ouvre les yeux, on a rien gagné à venir jusqu’ici ! brailla une Pinkie furibonde. On n’a pas les Eléments d’Harmonie, d’ailleurs on ne les cherche même pas ! On n’est pas dangereux pour Discord, il s’en fout qu’on soit en cavale ou pas à ce moment-là ! Et il sera sûrement moins dangereux que ces foutus bois infestés de monstres !
- Pinkie, tu ne sais plus ce que tu dis… souffla Harmonie, effarée par ce qu’elle venait d’entendre.
- Au contraire, elle sait parfaitement ce qu’elle dit, reprit Loki avec un air sérieux, sans toutefois s’être redressé. Discord peut apprécier le fait qu’on flatte son égo en se rendant à lui, et sera plus tranquille de nous avoir à l’œil pour être sûr qu’on ne prépare pas un coup tordu. Il serait peut-être même enclin à nous garder en vie pour contempler son œuvre. C’est loin d’être stupide.
- Tu…tu es de son côté ? bredouilla Harmonie, effondrée de la remarque de son frère.
- Je suis du côté raisonnable. Regarde les choses en face, depuis qu’on a quitté la maison des parents, il ne nous arrive que des tuiles. On a tous perdu quelque chose, que ce soit un œil, un membre ou la santé mentale. On court des risques en restant dans la nature, et encore plus à proximité des villes sans rien pour nous protéger.
- Et bien sûr, Discord est très aimable et vous offrira sa protection sans poser de questions, grinça la jeune femme.
- Pas sûr, mais ça vaut le coup d’essayer. Ce n’est pas plus dangereux en soi que de rester ici à la portée de tout un tas de saletés plus ou moins mortelles.
- Mais vous ne pouvez pas vous rendre à Discord ! implora Twilight, désemparée. C’est de la folie !
- Vous voulez vraiment arrêter là, vous vous en fichez que ce salaud gagne ? gronda Rainbow.
- Ils ont raison, les filles, admit Applejack. Il ne peut rien nous arriver de pire là-bas qu’ici. Et de toute façon, il a déjà gagné. On a plus les Eléments, c’est qu’une question de temps avant qu’il trouve le moyen de retourner à Equestria pour tout saccager. On peut rien y faire.
- Et vous comptez faire quoi alors ? demanda froidement Harmonie. Retourner à Metz à pieds ?
- On n’a pas vraiment le choix, déclara Loki.
- Malgré tous les dangers qui rôdent dans ces montagnes, comme vous l’avez si souvent répété ? reprit Harmonie d’un ton mielleux. Ca va à l’encontre de votre objectif, pourtant…
- Un mal pour un bien, répondit son frère du tac au tac. On s’exposera moins longtemps en partant maintenant, au moins.
- Alors vous vous êtes décidés… soupira Twilight.
- Oui, répondit Pinkie.
- C’est la meilleure chose à faire, Twilight, s’excusa Applejack.
- On sera plus en sécurité qu’ici, tenta Rarity. Je suis désolée.
-
Loki ne dit pas un mot, jugeant que son point de vue avait largement été étayé et clarifié.

- Qui est avec nous ? demanda-t-il en regardant Rainbow, Twilight, Fluttershy et Harmonie.

Personne ne répondit.

- Hors de question de laisser Discord gagner, dit Rainbow Dash. C’est pas parce que notre méthode est mauvaise qu’il faut abandonner.
- Ce n’est pas un jeu, Rainbow, dit Rarity.
- Pour lui c’en est un. Et je refuse également de me plier à ses règles, affirma Twilight, la tête haute.
Applejack boita jusqu’à Fluttershy, et posa une patte qui se voulait réconfortante sur l’épaule du pégase encore sous le choc.
- Et toi, sucre d’orge ? Qu’est-ce que tu veux faire ? demanda la paysanne le plus doucement du monde, comme une mère l’aurait fait à son enfant.
Un peu réconfortée par son amie, Fluttershy réprima un sanglot, et finit par indiquer qu’elle ne quitterait pas Twilight, Rainbow et Harmonie.

- Alors nous sommes fixés, déclara le coyote. Pinkie, puisque c’est ton idée, tu prends la tête du groupe. Quand partons-nous ?
- Je dirais demain, le plus tôt possible.
- Et comment allez-vous vous orienter ? Avec la mousse sur les arbres ? fit Harmonie avec un air narquois.
- Si Twilight veut bien nous laisser la carte et la boussole, répondit Loki. De toute façon, on ne s’en est jamais servi pour s’orienter, vous n’en aurez pas trop besoin. La carte, Twilight, je te prie, s’impatienta Loki.

Sans un mot, la licorne s’exécuta. Elle fit léviter les instruments jusqu’au coyote en lui adressant un regard chargé de reproches, dont il ne fit aucun cas, avant de ranger les deux objets dans son propre sac.

Quelques minutes plus tard, le groupe des dissidents voulant rejoindre Discord entreprit de séparer les affaires et de répartir équitablement les vivres entre les deux groupes, sous le regard désolé de Fluttershy, à nouveau au bord des larmes en constatant que la moitié de ses amis allait bientôt la quitter, pour peut-être ne jamais reparaître.
Ainsi, chacun conserva son équipement individuel, comprenant la tente et le duvet, ainsi qu’un sac contenant de l’eau et des conserves accompagnées de barres vitaminées ou de sandwiches végétariens emballés sous vide, le strict minimum nécessaire à la survie.
Loki et Pinkie procédèrent ensuite à la ségrégation du campement en deux parties, éloignant deux des quatre tentes de leurs vis-à-vis. Il fut décidé qu’Applejack et Pinkie se partageraient une tente, tandis que Loki et Rarity dormiraient dans l’autre. Cela ne sembla gêner personne, pas même la licorne, au grand soulagement du coyote.

Lorsque le déménagement fut terminé, le coyote s’assit près du feu, en face d’Harmonie. Cette dernière lui lança un regard assassin, qu’il soutint sans broncher, la tête haute.

« Le traître. Le fumier. Le salopard. » se disait-elle.
Elle insulta de toutes les façons possibles et imaginables l’insolent animal qui lui faisait face et soutenait son regard d’un air hautain. Comme toujours, il se croyait au-dessus de tout le monde, avec sa prétendue intelligence et sa « ruse » naturelle. Une belle connerie pour un beau connard, oui.
Ce connard, son propre frère, l’abandonnait lâchement, de son propre chef, contrairement à ses parents qui n’étaient pas eux-mêmes.
Ce n’était qu’un traître, un félon, un lâche et un imbécile. Comment avait-elle pu le reconnaître comme un frère ? Comme un membre de sa famille ?
Elle préféra se retirer sous sa tente. Le petit air suffisant qu’affichait le coyote en la regardant lui donnait envie de vomir. Et elle n’étais pas sûr de pouvoir résister à l’envie de lui ouvrir le ventre avec son couteau bien longtemps.
Harmonie remonta la fermeture éclair, et ne donna plus signe de vie.

Les fidèles à Harmonie ne tardèrent pas à l’imiter. Twilight suivit Harmonie, tandis que Rainbow et Fluttershy allèrent s’installer dans la seconde tente. Elles aussi avaient du mal à tolérer l’air légèrement triomphant que Loki affichait sans même s’en rendre compte. Sans compter qu’elles voulaient que cette journée finisse enfin, la nouvelle de la séparation pesant trop lourd sur leur cœur.
Les trois poneys restants ne tardèrent pas à montrer également des signes de fatigue, et se retirèrent à leur tour dans leurs tentes respectives. Loki suivit rapidement le mouvement, et entra à la suite de Rarity dans la tente, en faisant des efforts considérables pour ne pas loucher sur l’arrière-train de la licorne. Il détourna l’œil, autant par pudeur que pour s’assurer de n’avoir aucune pensée déplacée.
Lorsqu’il l’entendit s’allonger sur le sol du logement de toile, il consentit à nouveau à la regarder. Elle s’était couchée dans la position du Sphinx, et regardait Loki faire de même à côté d’elle. Le coyote posa la tête sur ses pattes avant croisées, et se prépara à s’endormir.
- Loki, avant de dormir, j’aimerais qu’on ait une petite discussion.
- A propos de quoi ? fit Loki, sachant cependant pertinemment de quoi la licorne voulait parler.
- A propos de ce qui s’est passé tout à l’heure… dans l’hôpital, dit Rarity, un brin d’hésitation dans la voix.
- C’était une erreur, répondit précipitamment le coyote. Je suis désolé. J’étais paniqué, je ne savais plus quoi faire.
- Je comprends bien. Moi aussi j’avais peur…
- J’ai bien cru que ce trou serait notre tombe, enchaîna Loki, coupant pratiquement la parole à Rarity.
Elle comprit qu’il essayait d’éluder le sujet le plus possible.
- Sais-tu seulement ce qui a déclenché ma crise de panique ? tenta-t-elle.
- Tu as dit que tu avais vu des cadavres en éclairant l’endroit, et tu as écrasé des phalanges. Ca me paraît suffisant.
- Ce n’est pas l’entière vérité.

Loki regarda la licorne avec un œil rond, bien qu’il ne pût pas la voir distinctement dans l’ombre de la tente. Pourquoi aurait-elle occulté quelque détail que ce soit en racontant l’histoire quelques temps auparavant ?
La réponse vint d’elle-même. Certains ne devaient être connus que d’eux deux seuls.

- Je…j’ai pris peur dès que tu m’as tirée là-dedans. Il me fallait quelque chose à quoi me raccrocher, pour me rassurer. J’ai voulu prendre ton bras, mais…
- Mais quoi ? demanda Loki, avide d’en savoir plus et d’avoir le fin mot de cette histoire.
Son cœur s’emballait, et ses pensées se firent plus confuses. Des théories toutes plus insensées les unes que les autres fusèrent sous le crâne du canidé.
- Mais je t’ai vu passer la tête par l’ouverture au-dessus de nous, reprit Rarity. Alors que je tenais toujours quelque chose entre mes bras. J’étais inquiète, et je voulais absolument savoir ce que je venais de serrer. Et c’est là que…
- Je vois, lâcha Loki nerveusement.
- Voilà… j’espère que tu vois où je veux en venir.
- Moi aussi.

Loki était totalement abasourdi. Jamais dans ses rêves les plus fous il n’aurait pensé que Rarity elle-même ferait le premier pas et lui parlerait de ce qu’elle ressentait. Quoiqu’elle ne l’avait fait qu’indirectement.
Toujours était-il que Loki ne savait plus trop où se mettre, ni quoi penser, et encore moins quoi faire. Rarity l’aimait, il en était sûr. Que faire à présent ? Devait-il l’embrasser ? La laisser faire ? Que dire ? Rien ne l’avait préparé à une telle éventualité, et il avait toujours relégué la possibilité que Rarity éprouve quoi que ce soit pour lui en dehors de l’amitié au rang d’impossibilité. Totalement perdu, il se mit à observer avec une grande attention le jeu des articulations de ses doigts, tout en remuant nerveusement la queue, essayant d’évacuer le stress. Ses oreilles s’étaient rabattues sur sa nuque sous l’embarras.
- Alors ce baiser…ce n’était vraiment qu’une erreur de ta part ? insista Rarity, cherchant le regard du coyote avec un air implorant.

Pour la première fois, Loki vit que Rarity n’était pas la grande Dame pour qui il la prenait, que ce n’était qu’une façade. La Lady pleine d’assurance, fière de ses atours et de ses qualités, respirant la noblesse et l’élégance, avait tombé le masque, et révélait une ponette pleine de doutes, hésitante et au final peu sûre d’elle-même, tentant de donner cette image de Lady aux autres pour masquer ses faiblesses.
Plus d’armure. Plus d’apparences. Seulement un cœur mis à nu, celui d’une femme avec ses peurs et ses doutes. Et pourtant un courage formidable, pour avoir ouvert son cœur à un coyote qui avait déjà rejeté l’amour d’une licorne.
En pensant cela, Loki faillit verser une larme. La beauté de Rarity à ce moment, extérieure comme intérieure, l’émut profondément. Ces yeux en amande, à la couleur bleu glace aux nuances si particulières et qui lançaient un regard implorant ne laissaient d’autre choix que d’aimer l’être qui les portait.
Ce regard azur éveilla en Loki un lointain souvenir. Un souvenir heureux, il en était sûr.
A cet instant, il sut qu’il ne pourrait plus se passer de la licorne.
Il soupira.
- Non. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit que c’était une erreur. Je voulais protéger notre amitié, ou un truc comme ça, je ne sais pas… Mais quand je t’ai embrassée, j’ai cru qu’on allait mourir, et je ne voulais pas disparaître sans t’avoir montré que… ben… voilà quoi. Je suis désolé, je n’ai pas les mots qu’il faudrait.

Rarity rougit et eut un sourire gêné. Elle rabattit à son tour les oreilles en arrière, et commença à observer le sol près de son sabot gauche, entre elle et Loki.
Il comprit alors que cette fois, c’était à lui de faire preuve de courage.
Il avança lentement son visage vers celui de Rarity, et ferma les yeux.
Il sentait le souffle régulier de la styliste, entendait le souffle léger de sa respiration, et les battements de son cœur dans le silence nocturne.
Le coyote déposa un timide baiser sur les lèvres de la licorne, et se retira presque immédiatement. Il tourna la tête, honteux de sa propre timidité.
Avec un petit rire amusé, Rarity poussa doucement l’épaule de Loki avec son museau, l’invitant à se relever.
Il reporta son attention sur elle, et elle l’embrassa à nouveau. Cette fois, pas d’échappatoire, se dit-elle.
Elle ne put s’empêcher de trouver amusant le fait d’embrasser le coyote. Certes c’était une preuve d’amour, et elle était heureuse, mais les poils du museau de Loki la chatouillaient. C’était vraiment une drôle de sensation.
Loki, lui, se laissait docilement faire. Il ne savait pas trop comment s’y prendre, et laissa Rarity conduire,.
Leurs lèvres se séparèrent à nouveau, et ils rouvrirent les yeux. Le cœur de Loki battait à cent à l’heure, et il eut un moment d’absence, encore perturbé par la magie du moment.
Avec un sourire, Rarity posa sa tête au creux du cou de Loki, et s’allongea sur le côté contre lui, s’ajustant un peu pour avoir la position la plus confortable possible.
Loki posa sa tête sur celle de sa bien-aimée, le menton perdu dans sa chevelure violette quelque peu désordonnée.
- Tu sais, finit-il par dire après un moment, un jour, quelqu’un m’a dit que si on meurt sans avoir connu l’amour, on n’a pas vraiment vécu.
- Ca peut se justifier. C’est Harmonie qui t’a dit ça ?
- Touché.
- C’était facile.

Un instant de silence s’écoula.
- Mais vraiment, je suis heureux que tu veuille bien de moi, dit Loki.
- Pourquoi donc ? répondit Rarity en levant les yeux.
- Disons que je n’ai pas grand-chose d’un prince charmant. C’est ce dont tu rêvais il me semble… Je suis ni un prince, et encore moins charmant, quoi.
- Encore cet éternel cynisme… Arrête un peu avec ça. Ce n’est pas en portant un regard négatif sur tout que ta vie en sera meilleure.
- Ca évite les déceptions.
- J’en conclus que tu ne pensais pas que nous vivrions un tel moment, n’est-ce pas ?
- Tout juste Auguste.
Rarity soupira.
- Ecoute, tu n’es peut-être pas un prince, mais tu as des qualités que beaucoup de nobliaux de la cour de Canterlot n’ont pas. Tu es… vrai. Tu ne pose pas de façade, tu te montre aux autres tel que tu es : cynique, retors, maladroit, mais malgré cela intelligent, doux, raffiné quand tu le souhaite. C’est cet équilibre que j’aime. En revanche, ce cynisme et cette pointe de sous-estime de soi me déplaisent, alors je te prierai de bien vouloir les refouler un peu.
- Je pourrais décrocher le Soleil pour toi s’il le faut.
- Attention à ne pas te brûler.
- Bien vu.
- Je sais.
- N’empêche… je ne m’attendais pas à ça. Que tu m’aime pour mes défauts, franchement…
- Pourquoi ? Tu n’aimes pas les miens, je suppose ?
- Les tiens quoi ?
- Mes défauts.
- Tu en as ?
- Espèce d’idiot, fit Rarity en donnant une bourrade à Loki avec son épaule, tout en souriant.
- Sérieusement, je ne vais pas faire un listing de toutes tes qualités, je manque de temps pour ça. Une vie n’y suffirait pas.
- C’est bien ce que je pensais. Tu es un imbécile charmeur, dit Rarity avec un petit rire cristallin.
- Je sais, termina le coyote en fermant les yeux. Mais un imbécile amoureux.

Rarity l’imita rapidement, et bientôt, ils s’endormirent l’un contre l’autre, leurs respirations se synchronisant d’elles-mêmes. Désormais, ils vivaient à l’unisson.

Cet évènement était le bienvenu. La détresse causée par la séparation du groupe semblait subitement bien peu de choses, comparée au bonheur qu’ils ressentaient d’être allongés ainsi, l’un contre l’autre, en jeunes amoureux transis.

Au petit matin, Applejack sortit en clopinant de la tente qu’elle occupait avec Pinkie. Personne ne semblait levé, mais elle vit que la tente de Loki et Rarity était ouverte.
Elle voulut vérifier que tout allait bien, et passa doucement la tête à l’intérieur, tentant de faire un minimum de bruit en frottant la toile.
Elle découvrit Loki et Rarity, encore pelotonnés l’un contre l’autre comme deux pommes dans un panier, leurs poitrines se soulevant comme s’il s’agissait d’un seul être. Ils avaient dû bêtement oublier de fermer leur tente la veille.
Elle ressentit un pincement au cœur, et sourit. Cela faisait bien trop longtemps qu’elle n’avait pas entendu de bonne nouvelle, et était à la fois heureuse pour eux et amusée. On aurait dit deux jeunes poneys qui sortaient ensemble pour la première fois, et qui croyaient que la vie leur appartenait.
Elle espérait de tout son cœur que ce serait le cas.

La paysanne commença à fouiller aussi silencieusement que possible dans son sac, à la recherche d’un petit-déjeuner éventuel, et en tira une boîte de compote de pommes qu’elle avala prestement, sans couverts, s’essuyant la bouche du revers du sabot. Rarity aurait hurlé si elle n’avait pas été occupée ailleurs.
Elle s’assit ensuite devant la toile de tente d’où elle était sortie, attendant le réveil de Pinkie pour la replier et la préparer pour reprendre la route.

Fidèle à son habitude récemment acquise, Harmonie émergea peu après de son propre logement de toile, sans prendre la peine d’accorder un regard à Applejack. Elle faisait partie des traîtres, après tout.
Un léger coup de vent déplia la « porte » de tissu qui était sensée servir d’accès à la tente, dévoilant le jeune couple qui dormait encore à l’intérieur. Harmonie fit une grimace dédaigneuse, à laquelle Loki, qui venait d’ouvrir les yeux, répondit en montrant les crocs. La jeune femme ne tint aucun compte de l’avertissement bestial de ce qui avait un jour été son frère, et imita Applejack en cherchant un en-cas matinal. Applejack vit qu’elle avait les yeux rouges et des cernes bien plus marqués qu’à l’ordinaire. Elle avait probablement passé sa nuit à ruminer son désespoir et à pleurer sa rage, en silence. Elle avait réellement l’air d’être d’une humeur massacrante, et Applejack doutait qu’elle soit capable d’adresser une seule parole aimable à qui que ce soit.
Harmonie finit par s’asseoir devant sa tente, à l’instar d’Applejack, mais se détourna vers l’extérieur du campement, afin de n’avoir à croiser aucun regard.
Quand Applejack se rendit compte que Rarity et Loki étaient visibles pour tous, elle se leva pour aller sceller l’entrée de leur logement, réveillant de ce fait Pinkie qui émergea à son tour de la loge de toile, se demandant ce qu’Applejack fabriquait avec la tente de ses amis. La paysanne ne répondit pas, et Pinkie n’y attacha aucune espèce d’importance, de toute façon pas assez réveillée pour accorder d’importance à quoi que ce soit. Elle regarda simplement Applejack replier la toile.

Bientôt, Rarity et Loki pointèrent le bout de leur nez. Ils ne décollaient pas l’un de l’autre, et même les quatre pas qu’ils eurent à faire en dehors de la tente ne les forcèrent pas à rompre le contact entre leurs deux corps. Alors que Rarity repliait la tente par télékinésie d’une technique experte, Loki continuait de frotter sa joue contre celle de la licorne.
C’est ce spectacle qui s’offrit à Twilight lorsqu’elle décida enfin de sortir de la tente d’Harmonie.
Applejack la vit stopper son mouvement, comme pétrifiée par le regard d’une coquatrice, puis faire instantanément machine arrière, les yeux mouillés de larmes.
La formation de ce couple n’était pas du goût de tout le monde.

Alors elle ne s’était pas trompée. Loki avait bien préféré Rarity à Twilight. Il avait rejeté son amour parce qu’il voulait Rarity.
L’étudiante favorite de Celestia était anéantie. Elle se sentait trahie, sa confiance avait été bafouée, et son cœur brisé.
Elle s’y était attendue. Elle les avait entendu discuter la veille, dans leur tente, mais elle n’avait pas compris un mot de ce qui se disait. Cependant, voir que ses craintes étaient parfaitement justifiées l’avait comme foudroyée.
Pourquoi Rarity ? Qu’avait-elle de plus qu’elle ?
Elle était plus belle. Rien de plus. Ce n’était qu’une peste prétentieuse doublée d’une reine de la comédie et d’une manipulatrice. Twilight doutait qu’elle puisse aimer quelqu’un d’un amour sincère. Mais elle était d’une beauté terrifiante.
Elle lui avait volé Loki, elle ne voyait que ça. Elément de la Générosité, mon œil. Elle avait vu qu’elle était amoureuse de Loki et le lui avait volé, pour la faire souffrir.
Et lui qui était tombé bêtement dans le piège qu’elle avait tissé, comme l’horrible araignée qu’elle était au fond d’elle-même… Il avait succombé au charme physique. Finalement il ne valais pas mieux qu’elle.
Non, tout cela était ridicule. Rarity était son amie depuis trop longtemps pour lui faire un coup pareil.
Le responsable était Loki.
Il avait menti à Twilight en lui disant qu’elle était jolie. Il lui avait menti en disant que les sentiments qu’elle éprouvait n’étaient pas réels.
Il l’avait trahie.
Twilight se mordit le sabot pour ne pas faire de bruit. Fluttershy et Rainbow Dash dormaient encore, et Harmonie était juste dehors. Elle ne voulait pas être surprise dans cet état.
Car sa poitrine était soulevée par de violents sanglots, et qu’elle pleurait toutes les larmes de son corps.
Les larmes roulaient sur ses joues, et clapotaient légèrement en tombant sur le sol de la tente.
Elle détestait Loki.
Jamais elle ne lui pardonnerait ce qu’il lui avait fait.

Quand Rarity et Loki eurent enfin pris un semblant de petit-déjeuner, Pinkie sonna l’heure du départ. Rarity bricola rapidement une sorte de traîneau à partir de branchages et de sangles de sacs à dos, sur lequel elle plaça les tentes et les sacs de Loki et Applejack et qu’elle arrima à Pinkie et elle-même, afin de ne pas trop charger la paysanne et sa patte blessée et de laisser à Loki une liberté totale de mouvement pour qu’il joue le rôle d’éclaireur.
Pendant que Rarity était à l’ouvrage, le coyote avait étudié la carte et, s’aidant de la boussole, avait déterminé la direction à suivre : vers le Sud-Est.
Le groupe des dissidents s’éloigna ainsi dans l’air frais du matin, sans un mot. Ils se retournèrent une dernière fois vers leurs amies, mais personne ne leur fit signe. Twilight, Rainbow et Fluttershy ne semblaient pas encore levées, et Harmonie les ignorait superbement. Ils s’éloignèrent donc dans un silence presque endeuillé, et disparurent dans la brume du matin.

Une fois que les traîtres eurent disparu, Harmonie commença à empaqueter à son tour ses affaires, essayant de ne penser à rien d’autre qu’au déroulement de leur périple.
Il fallait absolument s’éloigner de la ville au pied des collines. Si l’idée venait aux démons ou à une meute de Barguests de s’aventurer au-dehors, et elle viendrait sûrement rapidement en l’absence de nourriture, elles se retrouveraient en première lignes face aux prédateurs féroces. Il fallait donc rapidement s’en aller, et reprendre une vie de nomade, afin de ne pas risquer d’attirer une quelconque bande de créatures, amicales ou non, par un feu de camp localisé toujours au même endroit.

Environ une heure plus tard, les quatre voyageuses avaient quitté l’endroit et arpentaient à nouveau les sentiers forestiers, prenant bien soin d’éviter la piste du groupe de Pinkie.

En voyant les yeux rougis et les traces des larmes sur les joues de Twilight, Fluttershy s’était empressée de s’enquérir de ce qui n’allait pas. La licorne ne répondit pas, inquiétant encore plus son amie que si elle avait été honnête et avait donné une vraie réponse.
Twilight ne voulait plus y penser. Elle voulait oublier ces pulsions autodestructrices qu’étaient sa haine envers Loki et sa jalousie de Rarity, son désespoir d’avoir vu ses amies lui tourner le dos et abandonner le combat qu’elles avaient toujours livré ensemble.

Après quelques tâtonnements, elle retrouva le fil de sa réflexion là où elle l’avait laissée, sur le lien existant entre la famille royale et Discord. Puisque le sang d’Harmonie rappelait la Princesse à Twilight et qu’elle était de toute façon liée à Discorde, le lien était forcément là. Mais quel était-il ? Discord avait-il eu un quelconque héritier avec un membre de la famille royale ?
Impossible. Cette famille était constituée à ce jour de Celestia, Luna, Cadance et du prince Blueblood. Discorde ne connaissait probablement même pas l’existence des deux derniers. Alors qu’est-ce qui pouvait bien le relier aux deux princesses ?
Twilight chercha encore. Puis elle comprit que ses recherches étaient trop spécifiques, et elle entama un brainstorming à partir de Discord et des Princesses.
Et elle se souvint d’un détail. Un détail qui aurait pu être insignifiant.
Les Princesses avaient combattu Discord et l’avaient vaincu à l’aide des Eléments d’Harmonie.

Soudainement, le visage de Twilight s’éclaira. Elle bondit au-devant d’Harmonie, et s’exclama :
- J’ai trouvé ! Je sais ce qui vous lie toi et Discord, et je sais quelle est cette énergie qu’il y a dans ton sang !

AUCUNE!! HAhahahahaHAAHAHAAaa!! Veuillez m'excuser. Non, sérieux, je vais complètement anéantir certains, mais je trouvais que ça faisait trop longtemps qu'on avait pas été mis au courant des agissements d'un certain Draconequus...

Rah, quel agacement. Pourquoi quand tout semblait aller pour le mieux, ce monde de fous se chargeait-il de venir à nouveau perturber mes plans ?
C’est vrai, enfin ! Quand je pensais avoir la mainmise sur l’humanité, l’Apocalypse se déchaînait pour me montrer que je ne pourrais plus régner que sur quelques survivants. Et maintenant que j’avais stabilisé ma condition, récolté encore plus de fidèles et mis en place une armée ténébreuse, voilà qu’on s’attaquait à celle-ci !
Oui, vous avez bien compris, j’ai perdu des Ombres. Etant donné que je n’avais cessé d’envoyer de petits contingents de ces créatures en récolter d’autres, je me réjouissais chaque soir de voir que mes miroirs (ça fait beaucoup de mots en « oir » je trouve) se remplissaient de plus en plus et étaient surpeuplés comme des batteries d’élevage de poules. Cependant, un matin, en me réveillant, je constatai que le nombre d’ombres dans le dernier miroir que j’avais acquis n’avais pas augmenté. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : celles qui étaient parties pendant la nuit n’étaient pas revenues. Rien ne m’avait préparé à une telle éventualité, et je ne pouvais que m’inquiéter de la nature de cette puissance capable de saper les forces de mon armée.
Etait-ce un humain armé d’un miroir et disposant des connaissances nécessaires pour les piéger ? Probablement pas. J’avais le monopole dans ce domaine.
Alors quoi ? Qu’est-ce qui aurait la force – et le courage - d’attaquer une Ombre et de la vaincre ? Pas un être humain, ni même un être vivant, étant donnée la nature quasi-éthérée de ces créatures.
Ca ne pouvait être que quelque chose de très proche. D’autres Ombres ? Non plus. Mais vous allez voir que l’avenir m’apporterait rapidement des réponses.

Pendant près d’une semaine, je me rendais chaque matin dans la pièce spécialement aménagée pour que je puisse y « ranger » mon armée. Vous ne savez pas à quel point il est pratique de passer en revue ses effectifs quand ils sont bien en ordre entassés dans 30 mètres carrés.
Et à chaque fois le comptage était sans appel : bien que je ne prît jamais la peine de compter avec exactitude mes soldats de ténèbres, je voyais bien que les effectifs diminuaient inexorablement, même quand j’avais pris la mesure de ne plus faire effectuer de sorties à mes sbires.
Quelque chose venait se servir directement dans mes miroirs pendant mon sommeil, et cela commençait à positivement m’agacer.
Je n’étais pas sorti depuis plus de huit jours de ma crypte, quelque peu inquiet pour mes charmants esprits domestiques. Même si je n’avais jamais rien vu, dans les premiers temps de ce marché aux Ombres improvisé, j’avais souvent senti une présence étrangère fugace mais malveillante, que j’avais attribué sans y prendre plus garde à une Ombre particulièrement acariâtre, mais un élément me fit changer d’avis.

Au cours de cette même semaine de moisson spirituelle, j’avais passé la plupart de mes journées à consulter les nouveautés que postaient mes ouailles sur mes pages internet.
Un Dieu aussi proche de ses fidèles, avouez que c’est la classe.
Revenons à nos moutons. Comme je le disais, beaucoup de nouveautés envahissaient mes pages, toutes des plaintes concernant de nouvelles terreurs nocturnes, dont les victimes étaient souvent des gens que j’avais exorcisés de l’influence néfaste du Peuple de l’Ombre. Elles racontaient qu’elles avaient passé les pires nuits de leur existence, se faisant tour à tour molester, violer et torturer par des entités invisibles ou qu’elles n’avaient pas suffisamment bien vues pour donner une quelconque description. Des méthodes qui ne seyaient pas au lâche et discret Peuple de l’Ombre.
Pire encore, il n’était pas rare que, le lendemain ou quelques jours plus tard, un proche poste un commentaire en réponse à la demande d’aide pour annoncer le décès de l’auteur du précédent post, d’une mort plus ou moins mal expliquée, par des crises cardiaques ou encore plus étrangement étouffées dans leur oreiller.
Quelque chose rôdait là dehors, quelque chose qui venait tout juste d’apparaître.
Ou alors qui s’était fait discret.
Cette nouvelle vague d’horreur était à la fois embarrassante et déstabilisante. C’était tout de même la seconde fois que j’étais impuissant à protéger mes ouailles contre une menace invisible. Ce problème devait être réglé au plus vite.
J’espérais cependant que la chasse aux créatures nées des Ténèbres ne deviendrait pas une routine.

Je résolus d’aller interroger mon fidèle prêtre anciennement protestant. Lui qui était versé dans la spiritualité, il pourrait peut-être m’aider un peu. Et puis, ce n’était pas comme si je ne l’avais pas sous la main.
Une nuit, alors que regarder la télévision commençait à m’ennuyer, je décidais d’aller le trouver.
Pourquoi la nuit ? Parce qu’en journée le Temple recevait de la visite, de touristes japonais photographiant le moindre petit recoin minuscule du Temple ou de banlieusard inoccupés cherchant à ressentir un peu le sacré du lieu. Eh oui, ce n’était pas parce que le monde était en crise et qu’on avait eu droit à de nombreux mouvements de population que les grandes villes étaient mortes. La vie continuait malgré tout.
Bref, aux alentours de vingt-deux heures, sachant qu’à cette heure le prêtre était occupé à terminer le sermon du lendemain matin, je montais le chercher.

Alors que je gravissais les marches menant à la nef du Temple Neuf, je sentis quelque chose d’inhabituel.
Une odeur qui était venue s’ajouter à l’indémodable odeur de poussière et d’encens typique des édifices religieux comme celui-ci, à ce que j’ai cru comprendre du cerveau de mes fidèles.
Quelque chose comme de l’œuf pourri.
C’était quelque peu étonnant. Qui aurait eu l’idée d’amener des œufs dans une église si ce n’est moi ? Et pourtant j’étais certain de ne pas en avoir abandonné dans la nef…
Je poussais la porte de la crypte et pénétrai dans la pièce principale du Temple, baignée de la lumière blafarde de la Lune colorée par les vitraux. Les particules de poussière en suspension baignant dans les rayons lumineux qui contrastaient avec la pénombre environnante donnaient un air mystique à la scène. C’était très beau. Une petite touche de chaos comme moi seul savait le faire là-dedans et ce serait parfait.
Néanmoins, quelque chose clochait. J’avais du mal à mettre le doigt dessus.
Ah, oui. Pour une raison qui m’était inconnue, toutes les croix et tous les crucifix accrochés au mur avaient été retournés.
Je n’ai rien contre la culture New-Age, mais là c’est franchement de mauvais goût, et c’est tout sauf feng-shui. Même si voir le Christ la tête en bas avait quelque chose de comique.
Et puis bon, on ne se prend pas pour Valérie Damidot dans la propriété d’autrui sans lui demander la permission avant. Il fallait vraiment que j’aie une discussion avec le prêtre.

Où se cachait-il, ce rascal ?
Je traversais la nef en direction de la sacristie en faisant claquer griffes et sabots sur le sol de pierre, tout en observant la pièce. Il avait vraiment fait un sacré travail, toutes les croix, même celle au-dessus de l’orgue, avaient été retournées.
Il faudrait que je sorte un peu plus souvent, tiens, au cas où notre accro de D&Co déciderait de s’en prendre à nouveau à ce qui me servait de demeure.

Je me dirigeai donc vers la sacristie, et en passai la porte sans frapper. Je trouvais le prêtre là, assis à son bureau et penché, vêtu de son habit de cérémonie et me tournant le dos. Pourquoi vêtu de sa soutane, aucune idée, mais ce n’était pas l’important.

- Dites-moi, mon père, annonçai-je ironiquement. Que s’est-il passé dans votre esprit dérangé pour que vous soyez pris d’une telle frénésie décoratrice ? Autant vous dire que c’est une initiative qui ne m’a pas beaucoup plu. Vous savez, les croix renversées c’est démodé, vivez un peu avec votre temps.

Je n’eus aucune réponde. En revanche, il tourna la tête vers moi. Ce qui était quelque peu dérangeant, car voir une tête humaine décrire un demi-tour à 180 degrés n’est un spectacle ni commun ni ragoûtant. Dire que je croyais être le seul à pouvoir faire ça… Même ce petit plaisir m’est enlevé.
Et plus effrayante encore que cette brusque violation des lois de la physique et de l’anatomie, l’expression qu’il arborait aurait fait pâlir un clown d’effroi. Un large rictus déformait son visage, si large que ses lèvres s’étaient fendillées, et ses yeux fous roulaient dans leurs orbites, jetant un peu partout un regard digne d’un poisson mort.
Je ne savais pas s’il avait pris quelque chose, mais si c’était le cas je voulais bien l’adresse de son dealer. On aurait de quoi s’amuser.

- Bon, eh bien on dirait que vous avez un petit problème. Vous devriez aller vous reposer un peu, et nous discuterons de tout cela demain matin, à tête reposée. Qu’en dites-vous ? proposai-je d’un ton condescendant.

Pour toute réponse, la porte derrière moi se referma violemment en claquant. Je ne pensais pas qu’il prendrait si mal le fait que je lui dise d’aller se reposer. Et j’étais loin de me douter qu’il avait acquis des pouvoirs magiques pendant la nuit.
Toujours avec son affreux rictus goguenard, il se leva, se retourna afin de repositionner sa tête selon un angle plus proche de la normalité, et fixa son regard sur moi.
- Cette misérable créature est en mon pouvoir, une simple marionnette entre mes mains, et bientôt, tu le seras aussi ! s’exclama le prêtre en parlant d’une voix sèche et erraillée.

D’accord. Là, il avait vraiment récolté un coup sur la calebasse. Pour se prétendre supérieur à moi, il ne fallait pas qu’il soit lui-même, même sous l’influence de drogues suffisamment puissantes pour assommer un éléphant. Il n’était alors pas difficile de comprendre qu’il était possédé.
Oui, j’ai une certaine culture quand même. Je sais que les esprits des morts et les démons sont capables de posséder les gens.
Et étant donné que la plupart des esprits des morts se trouvait dans on annexe à miroir, j’en ai rapidement conclus que j’avais affaire à un démon.
Ca commençait à être très intéressant.

Je saisis le cou du possédé avec ma patte de lion, serrant juste assez fort pour empêcher le malheureux de trop gesticuler et surtout de se plaindre ou de proférer des âneries encore plus monstrueuses.
Ainsi, le tenant par le col comme une poule, j’ouvris la porte de la sacristie et me dirigeai d’un pas décidé vers mon antre, afin de rejoindre la salle des miroirs. Quoi que ce soit qui ait pris la place de mon fidèle prêtre, il allait finir sous verre.

Pendant que je descendais les escaliers de pierre, pressé de dévoiler un nouveau mystère tel un Sherlock Holmes des temps modernes, l’autre continuait à remuer malgré la pression que j’exerçais sur sa pomme d’Adam. Il commençait vraiment à me courir sur le haricot, même pas capable de se tenir tranquille cinq minutes.
En parvenant dans la salle des miroirs, je levai le drap qui couvrait la dernière de mes acquisition, un grand miroir de salle de bain de forme ovale qu’on pouvait faire pivoter sur son pied et incliner comme bon nous semblait.
Le prêtre immobilisé toujours dans la main, je fermai les yeux, et me concentrai. Après quelques tâtonnements mentaux, je parvins à saisir l’âme du prêtre – où ce qui se trouvait à la place - d’une main imaginaire, par le haut du crâne, et tirai de toutes mes forces, rencontrant une résistance. Je tirai à nouveau d’un coup sec, et cette fois la résistance disparut. Je fourrai rapidement ma prise dans le miroir, avant de sceller la surface de verre et d’argent.
Le prêtre pendait mollement dans ma main, à présent. J’en conclus qu’il était décédé. Ce qui me confortais encore dans l’idée que j’avais affaire à un démon, alors que je n’avais toujours pas levé les yeux vers ce qui se trouvait dans le miroir. C’était bien une créature qui surgissait des enfers pour voler l’âme des vivants. Cette version avait le mérite d’expliquer pourquoi je devrais balancer le corps d’un homme d’Eglise dans le canal.

Je me décidai enfin à observer ma prise.
Et quelle prise ! Une véritable horreur. Si c’avait été un poisson et que j’avais été un être humain, je l’aurais jetée au bûcher en faisant le signe de croix.
La chose avait un corps rachitique, des membres squelettiques et décharnés, des côtes saillantes sous une peau couverte de blessures, de brûlures, de croûtes et d’escarres. Ses longues jambes de bouc glabres et pourvues de sabots fourchus lui donnaient un air déséquilibré en permanence. Quand elle n’était pas occupée à faire crisser ses griffes sur le verre, rayant par la même occasion un accessoire qui avait coûté une petite fortune à mon défunt prêtre, elle se balançait mollement d’un pied sur l’autre, comme si elle cherchait en permanence à retrouver son équilibre.
Elle se tenait voûtée, et ses bras trop longs et dont les veines bleuâtres étaient quasiment à l’air libre frottaient presque le sol. Son crâne évoquait vaguement celui d’un humain, qu’on aurait odieusement étiré vers l’avant, et qui ressemblait alors à une hybridation impie d’un humain et d’un bouc. Les mâchoires étaient garnies de dents pointues et acérées, et donnaient l’impression que la créature affichait un rictus malsain en permanence.
Ses yeux étaient dépourvus de toute paupière, et sortaient de leurs orbites. Des vaisseaux rouge vif zébraient l’humeur jaunâtre qui servait de corps vitré, et ses pupilles étrécies au maximum étaient d’un noir profond, comme les Ténèbres du cœur de l’abysse.

C’était donc ça, un démon. Je comprends qu’on ait pu les redouter, la simple vue d’une de ces choses aurait pu faire défaillir le plus courageux – ou le plus stupide – des êtres humains. Nul doute que des gens mouraient en apercevant de telles choses lors d’une terreur nocturne.
La créature sifflait et grondait, en faisant continuellement grincer ses griffes sur la surface du miroir. C’était à rendre fou.
- Voulez-vous bien cesser ce bruit infernal ? ordonnai-je avec agacement, mais néanmoins fier de mon jeu de mots.
- Je te ferai la peau ! cracha-t-elle pour toute réponse. Je t’arracherai les boyaux et je te les ferai bouffer !
- J’ai quelques doutes à cet égard, très cher, dis-je d’un ton mielleux. Il semblerait qu’il y ait comme une vitre pour nous séparer. Mais dites-moi, ils sont tous comme ça chez vous, où vous êtes particulièrement rustre pour votre espèce ?
- Ta mère elle suce des bites en enfer !
- Je vous interdis de parler de ma mère sur ce ton. Et le fait que je n’ai aucun souvenir d’avoir eu une mère n’y change rien.

J’eus beau essayer d’engager le dialogue, de parler de choses et d’autres, le démon continuait à m’invectiver en proférant des insanités. Impossible de parler comme des adultes avec une telle monstruosité. Au moins, un tel comportement m’avais permis de comprendre un nouveau détail : alors qu’elle se croyait toute-puissante au dehors, elle commençait à paniquer dans sa prison. Les démons étaient donc atteint de claustrophobie aigüe. Ca pourrait servir.

Je l’étudiai encore quelques instants, malgré ses vociférations incessantes. Cette chose, aussi monstrueuse qu’elle fût, présentait un réel intérêt. Elle était bien armée, d’une taille tout de même remarquable, atteignant probablement deux mètres trente si elle se tenait droite, et faisait par conséquent un adversaire certainement redoutable en combat rapproché, bien plus qu’une simple Ombre ne pourrait le faire.
Cela expliquait aussi les disparitions d’Ombres régulières. C’était probablement lui qui rôdait aux alentours depuis quelques jours, et venait se nourrir des âmes que je gardais pour mon usage personnel. C’était cohérent.
Ah, si seulement j’avais pu m’en servir comme force de corps-à-corps dans mon armée…
Attendez, bien sûr que je le pouvais ! Il s’agissait après tout d’une créature de l’ombre, et j’avais de l’expérience dans le contrôle mental de ce type d’être…non-vivant ?
J’aurais tout aussi bien pu commercer avec lui et faire un pacte, mais non. Je préfère la gratuité. Et corrompre un esprit déjà corrompu est un concept tellement plus beau et admirable.

Je me replongeai dans un état de concentration propice à entrer en contact avec ce qui servait d’esprit à la créature. Je me projetais alors dans le cerveau du démon, et entamai mon travail de sape de ses souvenirs.
A l’instar des Ombres, il n’avait pas d’esprit à proprement parler, ce qui aurait pu corser les choses si je n’avais pas été rompu à ce genre d’exercice. Pénétrer la conscience du démon fut donc relativement simple.
Je découvris alors que le mental démoniaque était infiniment plus développé que ce que j’aurais pu penser, et bien évidemment largement supérieur à celui des Ombres. Il était, au final, assez semblable à celui des humains ou des poneys. Au lieu de n’être animé que par un vague instinct comme les Ombres, le démon était mû par une réelle volonté, qui semblait dépendre du caractère propre de l’individu. Ici, l’ambition, la haine et la colère étaient les principaux moteurs de la vie de cette créature sur son plan démoniaque d’origine.
La réelle différence avec le plan mental d’un poney ou d’un humain est que je ne trouvais aucun sentiment positif. Même les joies qu’avaient ressenti ce démon avaient quelque chose de malsain, de perverti. Cela me remplit instantanément de sympathie pour cette bête de l’abysse. Enfin quelqu’un qui me ressemblait, de près ou de loin.
Mais ce qui était réellement intéressant chez cette créature, c’était la réalité de ses souvenirs et de ses pensées. Des souvenirs que je pouvais modeler et déformer à loisir, et qui me permettront d’intégrer ce monstre à mes rangs de cauchemar.
C’était absolument parfait.

Je voguai longtemps sur le tumultueux fleuve des souvenirs du démon. J’ai pu saisir son nom, Al’zred, et j’ai su que cette connaissance me donnerait un pouvoir absolu sur lui. Bon début. Au hasard de mes pérégrinations, je découvris également qu’il été né voilà des temps immémoriaux, et que malgré une vie éternelle, il avait conservé relativement peu de souvenirs. Cette information, conjuguée à sa capacité naturelle à construire des débats profondément philosophiques sur le sort de ma prétendue mère décédée, me permirent de conclure qu’il était aussi limité intellectuellement que je l’avais pensé. Encore un point qui jouais en ma faveur.
Ainsi, nombre des souvenirs qui restaient étaient des informations de première importance, que la créature se devait de garder en permanence à l’esprit, comme la hiérarchie dans laquelle il s’insérait au pied de l’échelle, avec pour chef suprême le Prince Noir nommé Moloch par les humains.
J’appris également qu’il avait été envoyé en tant que membre d’une cohorte sous le commandement d’un capitaine démoniaque, accompagné de cinq autres capitaines et de leurs légions, et que ces six osts distincts étaient rassemblés dans une zone couvrant environ trois cent kilomètres carrés de terrain sur Terre.
Six chefs démons… et six d’entre elles…le hasard faisait décidément très bien les choses.
En fouillant un peu plus profondément, j’eus la chance de découvrir les procédés permettant l’invocation de démons, les règles qui régissaient le commerce avec les démons, le moyen de les outrepasser et les protections que pouvaient employer l’invocateur pour se préserver d’une attaque de la créature qu’il avait attirée depuis les plans infernaux. J’appris également les noms d’emprunt que portaient les six capitaines – un démon ne peut se permettre de dévoiler son vrai nom, car qui connaît le vrai nom d’un démon a tout pouvoir sur lui – et leur localisation plus ou moins précise. Ainsi, si je parvenais à mettre la main sur chacun de ces chefs, je mettais la main sur six légions démoniaque, dont je pouvais prendre le commandement, ainsi que sur six adversaires formidables qui ne manqueraient pas de me débarrasser de mes Némésis.
Il ne me restait plus qu’à transformer mon annexe aux miroirs en salle d’invocation, et à faire mes courses.

En me retirant de l’esprit du démon, j’éprouvai une intense satisfaction. Finalement, la découverte de cette créature valait bien la perte d’une douzaine d’Ombres. Car elle m’apportait bien plus, l’assurance d’une victoire rapide sur Celestia.
Vous trouvez que je vais un peu vite ? Oh, voyons, vous devriez savoir que j’ai depuis longtemps acquis la puissance suffisante pour rouvrir le portail qui m’avait amené ici depuis Equestria. Il suffirait alors de l’agrandir afin de faire passer mon armée cauchemardesque en Equestria, et je donnerai directement l’assaut sur Canterlot, là où se trouvaient concentré la plupart des effectifs militaires. Si Canterlot tombait – et elle tomberait – le reste d’Equestria suivrait rapidement.

Il ne me faudra guère plus de cinq minutes de tâtonnement énergétique pour rouvrir ce portail. Et à la seconde où se portail s’ouvrirait, la partie serait terminée, et Celestia aurait perdu.
Cependant, avant cela, j’aimerais tout de même élucider un autre mystère…
Mais je devais d’abord attendre le retour de mes Ombres traqueuses.