-Salope! hurla le gros poney bleu, bouteille a la main. Espèce de salope!
Ratatinée au fond de sa chaise pliable, Pincée se protegeais avec les mains en couinant doucement. S'éleve Dans le Ciel, car c'etait son nom, porta le goulot a sa bouche une fois de plus, appuyé contre la table branlante, le reçut dans le nez, constata que la bouteille etait vide et la jeta au sol en hurlant une fois de plus.
-Vous avez raison, Monsieur S'eleve dans le ciel, gémit Pincée! c'etait une vraie salope!
-Nous infliger cette humiliation, a nous, les Joyeux Boulons.. D'abord cette espece de jument volante, qui nous as frappée, et ensuite, la salope. Salope! comme si on pouvait pas s'débrouiller tout seul HUUURBL, gargouilla t'il, et Pincée se ratatina encore plus fort en pleurant.

Il l'avait entrainée a l'interieur, avait fermé la porte a clé et etait allé chercher a boire, en lui demandant ce qu'elle voulait. Pincée avait demandé un thé, et reçut un whisky dans lequel pataugeait un sachet. "De toute façon y a plus l'eau courante, faut qu'on fasse réparer. Salope!" avait expliqué S'éleve En L'Air, avant de fouiller sous un fauteuil, renverser quelque bouteilles et en ouvrir une de plus. Et il avait commencé a parler de cette pégase bleue, qui leur en avait fait voir de toute les couleurs "Comme sa crinière, ha ha ha! Salope!", et ne s'etait arrêté que pour boire. Pincée n'etait ni alcoolique, ni sportive, et ne comprenait pas ce qui pouvait donner si soif aux gens comme ce poney. Après avoir entendu les histoires du poney bleu, elle se dit que si la vengeance etait un plat qui se mangeait froid, il devait etre drôlement salé, et avait gouté la boisson boueuse qui se délitait dans son verre, par politesse. Elle eut l'impression que sa tête allait exploser.

-Voila. C'est notre vie, a nous, les Joyeux Boulons, dit S'eleve En L'Air. Il s'assit, fourra sa tete dans ses bras et pleura toute les larme de son corps.

Pincée savait que c'etait la troisième étape. Pincée n'avait jamais bu d'alcool, du moins pas volontairement, mais elle avait suffisament cotoyé quelqu'un d'alcoolique pour savoir comment ça se passait. Tout d'abord, ils etaient discrets. Puis joyeux. Puis venait la tristesse. L'image de sa mère dressée comme un pantin désarticulé dans l'encadrement de la porte lui revint, et ses lèvres se mirent a saigner.

Ensuite, venait la violence.

Oréal claquait des dents, car il avait peur, il avait froid, mais il transpirait abondamment. Si il ne rentrait pas vite au chaud, il attraperai une terrible maladie, et on ne manquerait pas de lui demander comment il s'etait fait tant de mal. Pourquoi avait il fait une chose pareille? Enroulée dans les draps, le corps inerte de Chant des Etoiles se couvrait de neige. Il fallait qu'il s'en débarasse avant tout. mais le spectacle auquel il venait d'assister ne présageait rien de bon. Oréal n'etait pas un poney pieux, ni très supersticieux mais un meurtre, c'etait quand même dur a digerer. Le ciel lui offrait une occasion unique pour compenser son méfait, et se trouver un alibi. Tout irait pour le mieux, se dit-il. Et puis, bon, ce n'etait qu'une décharge a foutre. La vie ne lui souriait plus depuis longtemps. Il gloussa, tout content de lui, et traîna rapidement le corps en bas de la petite côte au sommet de laquelle se trouvait le restaurant, qui offrait le plus beau panorama de tout Nombreux Galops. Il avisa un canal, poussa Chant des Etoiles dedans, et la regarda partir au loin.

Le visage de valentine lui revint en mémoire, et le remord l'ecrasa. Il secoua la tête, comme pour eparpiller ces idées néfastes, et entreprit de remonter le long de la côte, en trébuchant dans la neige.

-Qu'est-ce que tu m'as dit? Hurla S'eleve Dans Le Ciel, le visage rouge de colère.
-Je.. Je n'ai plus soif, bredouilla Pincée, en esperant que ça le calmerait. Bien entendu, ça n'etait jamais le cas.
-Il est pas bon, mon thé, c'est ce que tu cherche a dire? T'es comme cette pégase, en fait, prétentieuse et bruyante, dit le poney bleu en la soulevant sans ménagement par son habit de fourrure pour la rapprocher de ses yeux. Il souleva sa bouteille au plafond
-Pitiéééééé! pleura Pincée, sentant que sa derniere heure etait venue.
Toc toc toc, fit la porte. S'eleve dans le ciel la regarda, hocha la tête comme si c'etait sans importance, revint a la pouliche violette qui tentait desesperément de se proteger et se prépara a frapper.
-Service d'étage! Livraison de champagne! police! au feu! cita frénétiquement une voix au dehors en cognant a la vitre.
-On n'peut jamais etre tranquille, croassa le Joyeux Boulon en laissant tomber Pincée sur le sol. J'vais voir ce que c'est. N'bouge pas, ou sinon.. Sinon.. j't'en colle une. Et retire moi ce manteau, il fait trop chaud pour ça ici, dit-il, et il se passa une langue sur les lèvre. Pincée, folle d'espoir, l'imagina ouvrir la porte et se faire terrasser par un preux chevalier venue la sauver. Comme l'amant de Valentine! pensa t'elle, et elle se rappela Valentine, Brumeuse, Souhaits Sifflotés, et l'importance de sa mission.
S'eleve vers le Ciel ouvrit la porte, fit exploser sa bouteille sur ce qu'il y avait derrière, et la referma.
-Nous voila enfin tranquille, dit-il en refermant le loquet, un sourire tordant son visage.
Pincée sut qu'elle allait mourir, et sa vessie le sut aussi.

Boutonneux, dans l'intérieur luxueuse et chauffée du restaurant monta discretement dans une salle reservée au service, ou se trouvaient de solide poneys employés comme garde de sécurité.
-C'est bon, ils sont tous endormis. Vous pouvez les mettre dehors, ces sale roturiers.
Les nouveaux riches. Nés de la plèbe, enrichis avec l'argent de la plèbe, et se comportant comme des nobles, juste parce qu'ils avaient les moyens de se payer la carte VIP obligatoire. A une époque, on aurait jamais permis ça. Tout se perdait, tout ça parce que des illuminés avaient tout simplement consideré que l'argent n'a pas d'odeur, ni de saveur, et que tant qu'on en gagnait, peu importe d'ou il venait. Boutonneux se rappela son infraction aux règles et eut honte.
Les gardes de sécurité enfilèrent leur costume, leur matraque a bille "au cas ou", et descendirent les escaliers. Au moment ou ils passaient vers la porte, elle s'ouvrit avec fracas, sous le regard conjugué des clients et du personnel, et un poney rouge a la crinière vaguement bleue entra en titubant et grommelant.
-Ah non, pas encore! blémit Boutonneux. Puis il s'aperçut que le mysterieux arrivant etait couvert de sang, ses yeux s'agrandirent encore et il sentit la fin de sa carrière approcher. Un des garde de sécurité s'approcha, pendant que d'autres assuraient que tout etait sous contrôle, entendit le mot "hache", se rendit compte que l'inconnu avait réussi a attraper celle qui assurant la sûreté anti incendie et sut qu'il n'aurait pas le temps de prendre sa matraque. La hache tournoya, l'evitant de justesse, mais son nouveau propriétaire n'insista pas et se dirigea comme un automate vers l'exterieur, sans cesser de répandre du sang partout au sol, l'oeil fou. Personne n'osa s'approcher. Le poney a la crinière bleu courut en zigzaguant vers la porte de la caravane, en hurlant. Il abattit la hache sur le montant de la porte, y creusant une fente profonde, une fois, deux fois, jusqu'a ce que la porte s'ouvre et que le Joyeux Boulon qui avait précédemment quitté la piece l'aperçoive et se jette sur lui. Boutonneux sentit son pantalon passer au stade d'irrécuperable pendant que le poney ivrogne et le poney fou se roulaient au sol en rugissant, et lorsque S'éleve Vers le Ciel prit le dessus et souleva la hache, huit matraques s'abattirent sur lui et le clouèrent au sol. Les gardes de sécurité frappaient, frappaient, mais nul n'y mettait autant de coeur que Boutonneux, qui abattait encore et encore son arme sur le Joyeux Boulon, en riant aux éclats, ayant décreté que quitte a changer définitivement de vie et tourner la page, autant le faire jusqu'au bout, et que rien au monde n'etait aussi jouissif que frapper un Joyeux Boulon étendu impuissant au sol.

Oréal rampa hors de la melée, a l'interieur de la caravane ou se terrait la pauvre Pincée, sous la table. Il la regarda, en piteux états, ne parvenant pas a déterminer si elle avait été trop malmenée, et décida qu'il s'en préoccuperait demain, en s'écroulant au sol. Etre un héros n'etait pas facile tous les jours.




-Ou est Valentine? Demanda Prétentieux à un des couturier, extenué après avoir cherché dans toute les chambres et tous les étages du studio Poneys du Décor. On a une répétition dans une minute!
-Je crois qu'elle n'est pas là, répondit-il en regardant autour de lui pour donner l'impression de chercher.
-Je le sais bien, qu'elle n'est pas là! Tout le monde est en train de disparaitre, on dirait!
-Elle est dehors, dit une coiffeuse en s'approchant, ayant entendu la conversation. Je l'ai vue au loin alors que j'allais acheter quelque litres de teinture tout à l'heure.
Elle est presque nue sous sa robe, par ce froid, et elle court.

Elle court en hurlant le nom de Chant des Etoiles.


----



Ce matin, c’était réunion de crise aux Poneys du Décor. Et par réunion de crise, on entendait généralement « essayer de faire le mieux possible quand tout va mal ». Et par « essayer de faire le mieux possible quand tout va mal », on voulait dire « faire défiler une modèle peu talentueuse pour avoir l’impression de faire quand même quelque chose de productif ». Au moins, là, il ne se passait rien qui sorte de l’ordinaire.

« Non … Écartes un peu les pattes … Non, pas trop! Les gens veulent de l’érotisme, de la sensualité …Pas de la vulgarité ! Mais enfin, t’es pas une traînée, si? »

« N … Non monsieur Prétentieux … Pardon … » couina la mince pouliche qui se contorsionnait sur le podium, vêtu d’une fine robe en soie presque transparente. Nerveuse, elle fît maladroitement le tour du podium, s’arrêta à l’extrêmité, et réessaya la pose érotique, sensuelle, pas vulgaire. Elle sentait le regard jugeur de Prétentieux peser des tonnes sur elle, comme un énorme sac de briques sur ses épaules. Au bout d’une minute de silence de mort, elle trouva le courage de prendre la parole. « C’est … C’est mieux, monsieur ? »

Elle fût accueillie par un autre silence éloquent de quelques secondes, pendant lequel elle crût sentir la température de la pièce baisser de 10 degrés. Elle ferma les yeux et se mordît les lèvres, retenant ses larmes, se préparant à la tempête.

« Non … non … NON! » hurla Prétentieux en lui jetant son bloc-notes sur le flanc, la faisant sursauter et s’étaler par terre. « C’EST NUL! N-U-L! » Il se tourna vers ses assistants, collés contre le mur de l’autre côté de la pièce, et reprît d’une voix mielleuse. « J’ai pas raison? ». Ses assistants hochèrent la tête de concert, trop terrifiés pour répondre et risquer de l’offenser. Quand il était dans cet état (ce qui arrivait de plus en plus fréquemment ces derniers temps), la meilleure chose à faire était de ne pas l’énerver encore plus. Par contre, pour la pouliche maigrichonne recroquevillée sur le podium, c’était déjà trop tard. « Allez, dégages! Et ne reviens plus jamais ici! Vas plutôt chez la Salope, pas-toi-Valenti … » En plein milieu de sa traditionnelle taquinerie, il réalisa que Valentine n’était plus là, et sa bouche se mît à trembler, il enleva ses lunettes roses et s’appuya contre le mur et fondît en larmes.

« Pourquoi, pourquoi, pourquoi? » pleura-t-il en frappant le mur, faisant tomber une photo de lui encadrée qui se brisa sur le sol. « Tout se casse la gueule! TOUT! Et c’est à cause de VOUS! » s’exclama-t-il en pointant un sabot rageur vers la petite foule qui le regardait piquer sa crise avec un mélange de gêne et de peur. « Vous me lâchez tous! Chants des Etoiles! Oréal! Valentine! J’ai fait quoi pour mériter des assistants pareils? La Salope, elle, personne ne la lâche! Personne n’ose! Et surtout pas à quelques jours du concours! Allez, tirez vous tous. »

Prétentieux essuya ses larmes, et l’embarras lui tomba dessus. Il n’aimait pas qu’on le voit dans un tel état, mais il n’en pouvait plus, il frôlait la dépression nerveuse. Depuis que Valentine était arrivée, tout allait mal ; bien sûr, elle était sublime, et sa grâce suffisait à rendre la plus immonde des robes magnifique, mais elle était aussi dangereusement instable. Sa présence avait suffie à chambouler toute la mécanique bien huilée du studio de Poneys du Décor, et à semer le trouble dans l’esprit de ses collaborateurs les plus fidèles. Valentine était un poison doux et mortel.
Et pour couronner le tout, Chants des Etoiles était vraisemblablement partie mettre sa fin à sa misérable existence. Même s’il ne le laissait pas paraître, la nouvelle l’avait profondément chamboulé. Ils avaient partagés tant de choses, à deux. Le temps avait fini par panser à peu près les plaies douloureuses qu’avait laissé l’amour, mais elles ne se fermeraient jamais vraiment.
Il soupira, et marcha jusqu’à un miroir. Il avait très mauvaise mine, surtout pour un styliste ; il voyait apparaître sur ses joues le début d’une barbe drue, ses yeux étaient noirs de cernes et injectés de sang (heureusement, il avait ses lunettes), sa queue et sa crinière avaient bien besoin d’être brossées. Soudain, dans le reflet du miroir, il vît la porte de la salle de photochouting s’entrouvrir, et une assistante pointer timidement son museau par l’entrebaillement.

« Tu as oubliée ton écharpe, Automne Croustillant? » fît-il d’une voix glaciale, sans se détourner du miroir.

« Non, monsieur Prétentieux … On a retrouvé Oréal … »

« Quoi? Oh, Celestia merci. » Prétentieux souffla de soulagement, et s‘approcha de la porte. « Amenez le ici, que je lui fasse passer l’envie de s’absenter à nouveau sans motif valable. »

« En fait … » bredouilla Automne Croustillant. « … Je crois qu’il n’est pas tellement en état de recevoir un sermon. Il est dans la chambre de Chants des Étoiles, allez voir par vous-même … Je dois filer! » Elle disparût comme l’éclair, et Prétentieux, anxieux et intrigué, sortît de la pièce et trottina vers la chambre de son amour déchu. Il poussa la porte et son sang se glaça dans ses veines.

Allongé sur le lit, couvert de bleus et de sang séché, son assistant comatait. A coté de lui, l’infirmière Cœur Rouge s’affairait à le laver et à bander ses plaies, et lorsqu’elle remarqua Prétentieux, elle posa doucement l’éponge sur le ventre d’Oréal et s’approcha de l’arrivant, un air soucieux sur le visage.
« On l’a trouvé comme ça devant le Horsia … Si vous voulez lui parler, faites vite, il est sous tranquillisants. »

Prétentieux ne se fît pas prier et poussa l’infirmière sur le côté, puis se précipita au chevet de l’étalon à demi momifié.

« Oréal, qu’Est-ce qui t’es arrivé, par Tarnation? ». Toute colère avait quitté sa voix, car Prétentieux, malgré tout ses défauts, se souciait des assistants qu’il jugeait digne de son temps. Oréal était l’un des rares à jouir de ce privilège.

« Oh … monsieur Prétentieux … » Oréal ferma un moment l’œil qui n’était pas enveloppé de bandages, et le rouvrît au ralenti. « Est-ce qu’il est arrivé quelque chose … à mon visage? » L’anxiété perçait dans sa voix cotonneuse.

« Non, non, tout va bien, Oréal. » le rassura Prétentieux en passant tendrement son sabot dans la crinière bleue. « Dis moi ce qui s’est passé. » Mais Oréal s’était déjà rendormi.

« Monsieur Prétentieux … » fît Cœur Rouge en lui tapotant l’épaule. « Il semble que cet étalon se soit violemment battu avec un certain S’Élève-En-l’Air. Si je peux me permettre, des deux, je crois que c’est le moins amoché … »

« Attendez, attendez, attendez … LE S’Élève-En-l’Air? Le Merveilleux Boulon? » fît Prétentieux, se sentant à nouveau vaciller.

« Je n’ai jamais vu deux poneys avec le même nom, monsieur. Je disais … Il semblerait bien que les Merveilleux Boulon peuvent faire une croix sur un membre de leur équipe. Multiples fractures aux ailes, hémiplégie, perte du goût et de l’odorat … J’espère sincèrement que vous avez un bon avocat… »

Prétentieux sentît son cœur arrêter de battre, sa vision s’obscurcit et la voix de l’infirmière sembla se perdre dans le néant. Il attrapa un vase et renversa son contenu sur sa figure, et reprît ses esprits. Par Celestia, je suis passé à deux doigts de la syncope, pensa-t-il. Puis la situation lui retomba à nouveau dessus, et il bondît rageusement sur le lit, à califourchon au dessus d’Oréal.

« ORÉAL! » rugît-il. « Réveilles toi, espèce de fils de zèbre! ». Il attrapa ses épaules et le secoua violemment, et il émergea avec un gémissement peiné. « Mais enfin, Est-ce que as seulement idée du crottin dans lequel tu nous fous? » Prétentieux hurlait et couinait en même temps, complètement fou. « On a un contrat avec eux! Les uniformes, c’est à NOUS qu’ils les commandent! Et … Tu l’as presque tué, ce connard! On va avoir des ennuis, Oréal! A cause de toi! Et … et … et Est-ce que tu m’écoutes quand je te parles, au moins ? » gémit-il d’une voix peinée. Mais ça ne servait à rien, Oréal était depuis longtemps perdu dans les limbes du sommeil artificiel.

« Allons, lâchez le, monsieur Prétentieux … Ça ne sert à rien de vous énerver pour si peu. » tenta Cœur Rouge.

« Mais je n’en peux plus! » pleurnicha le styliste. « Rien ne va comme il faut! Et je n’ai personne pour m’aider! Même lui me lâche! Et toi, tu ne sers à rien non plus! » cracha-t-il en pointant du sabot la pouliche rose qui le regardait avec des grands yeux terrifiés, assise dans un coin de la pièce. « Et, euh … » Il enleva ses lunettes, et fronça les sourcils. « Et d’ailleurs, je peux savoir ce que tu fais ici? »

« Elle dit qu’elle s’appelle Pincée, monsieur Prétentieux. Elle était à côté de Oréal quand on l’a trouvé, et d’après elle, il l’a défendu contre ce s’Élève-En-l’Air … »

« Ce n’est pas le Jardin d’Enfants Magique, ici. » fît Prétentieux d’une voix glaciale. « Renvoyez la chez elle. »

« Je cherche Valentine. » intervînt timidement Pincée. « On m’a dit qu’elle était ici. C’est très important. S’il vous plaît … »

Prétentieux soupira et remît ses lunettes. Il n’avait plus le courage de s’énerver encore une fois, et il avait plus important à faire de toute façon. « Très bien, restes. Mais ne sors pas d’ici, et décampes dès que tu l’auras vue. Ce n’est pas un endroit pour les petites pouliches, ici. » Il tourna le dos au lit, et se dirigea vers la sortie. Il s’arrêta dans le cadre de la porte, et lâcha par-dessus son épaule : « Prenez bien soin de lui. ». Puis il repartît mener son combat, aussi vain qu’il était.

Pauvre souhaits sifflotés, je m'attendais pas à une fin de chapitre comme ça...

Chant des Etoiles était la mère de Souhait? Mais alors quel âge elles ont toutes les deux, je croyais que Chat des Etoiles avait le même âge que Valentine, qui avait le même âge que Souhait et Brumeuse... o_O

http://28.media.tumblr.com/tumblr_lspwymuvGv1r3xauuo1_500.png

J'en étais sûr que ces 2 elles allaient finir par se la mettre x). Et effectivement, dommage pour l'endroit où ça c'est passé !

En ces temps de grands froids, le poste de garde Est de de Nombreux-Galops fourmillait d'une activité ininterrompue. Les gardes allaient et venaient, transportant des piles de papiers dans les sabots, guidaient des indigents ramassés sur le trottoir à travers l'accueil du batiments à grands coups de genoux dans l'intrigue, se bousculaient quelquefois, ce qui déclenchait des éclats de voix; l'atmosphère était chaude, bruyante, et exhalait le musc et la transpiration équine.

Au milieu de toute cette agitation, assise sur un banc à côté d'une pile de magazines usagés, une pouliche violette tremblotait comme une feuille; personne ne semblait lui prêter d'attention. Elle avait troqué sa blouse d'infirmière contre un peignoir rose et élimé à l'odeur d'ammoniac, et fixait le sol, attendant qu'on veuillât bien s'occuper d'elle; l'envie d'aller à l'encontre des événements lui était passée, elle n'avait simplement plus la force.

Les images de ce qui s'était passé un peu plus tôt se bousculaient dans sa tête en un ordre indéfini. Elle se rappellait avoir appelé, et une patrouille de poneys en armure s'était approchée; le temps de bredouiller vaguement que Souhaits était là-dessous, elle se noie, y a un cadavre qu'ils l'avaient tirée avec violence de la conduite d'égout pour libérer le passage et s'engouffrer dedans, remettant les questions à plus tard, et elle avait dû s'évanouir un peu, quelques secondes. Par la suite, on l'avait emmenée dans cet endroit, et elle avait entendu dire que Souhaits-Sifflotés avait été rapatriée d'urgence à dos de pégase, non à l'hopital de Nombreux-Galops, mais dans une clinique spécialisée dont elle n'avait jamais entendu le nom; ils avaient ensuite parlé de baron, et c'est là que Brumeuse avait perdu le fil. Depuis, on lui avait d'attendre ici pour prendre sa déposition dans une affaire de meurtre, et elle n'avait pas bougé. Comment aurait-elle pu? elle était littéralement épuisée.

Un plateau sur lequel fumait un bol de soupe verdâtre se matérialisa alors devant elle; Brumeuse leva des yeux reconnaissants, mais trop tard, le généreux donateur s'était noyé dans la masse grouillante. De toute façon, elle avait faim, et pourrait enfin se concentrer sur du concret pendant quelques minutes. Le plateau posé devant elle, elle s'apprêta à mettre un terme à un jeûne qui avait duré plus de quarante heures, et remarqua alors la présence d'un papier pris sous le récipient brûlant. Elle le retourna; c'était un chèque. La récompense pour avoir remis son amie à la garde. Brumeuse sentit son coeur se serrer, et elle ravala une poussée de larmes naissante avec difficulté; elle aurait voulu trouver celui qui avait rédiger le chèque, et le lui renvoyer dans la figure. Souhaits-Sifflotés lui manquait déja cruellement; elle aurait voulu rester avec elle plus longtemps, entendre une fois de plus ses histoires invraisemblables et autres remarques acides agrémentées de grossièretés, la voir continuer à aller de l'avant même quand la vie lui barrait la route; Brumeuse avait toujours subi sa présence, dans le temps, mais également envié sa manière d'être, de se dresser face aux évènements comme si elle était inarrêtable.

Brumeuse renifla, hoqueta et baissa la tête, par pudeur; elle ne voulait pas qu'on la voie s'abandonner au chagrin. Elle en était arrivé au moment où Souhaits-Sifflotés avait brutalement perdu pied; la seconde où elle avait vu la licorne bleue capituler face aux événements et littéralement perdre pied resterait probablement gravée à jamais dans sa mémoire. Le visage caché dans le bol de soupe à la luzerne fade, une gorgée brûlante après l'autre, Brumeuse essaya de faire passer sa tristesse, sans grand succès; elle ne pouvait s'empécher de penser qu'on l'avait arrachée de force à sa nouvelle amie. Après les péripéthies qu'ils venaient de vivre, rien n'aurait dû se passer comme ça; vingt-mille bits ne suffiraient jamais à racheter ce court épisode de son existence.

Le bol terminé, Brumeuse se surprit à lêcher les parois de faïence, jusqu'a ce qu'elles furent comme propre; ce maigre en-cas avait à peine suffi à réveiller son système digestif, qui lui envoyait maintenant tous les signaux de protestation qu'il pouvait; un gargouillement douloureux lui tordit les entrailles, et elle fit la grimace. "Ouais, ouais, ça arrive..." grogna t-elle à l'intention de son intestin grêle. Grelottant désormais légèrement moins, la licorne parcourut les alentours du regard, et ses yeux se posèrent sur un des seuls éléments statiques de la scène, le maton à l'entrée; leurs yeux se croisèrent, pendant une seconde qui parut durer des années. Ce fut celui-ci qui rompit le contact en premier; il baissa les yeux et redressa le journal qu'il tenait pour masquer sa personne.

Brumeuse fronça un sourcil. Nombreux-Galops Matin était un quotidien à grand tirage, réputé pour donner les nouvelles les plus fraîches possible. Parlait-il de...? La licorne poussa un soupir. C'était déja l'heure de partir. Elle se redressa, serrant les dents; ses articulations venaient de grincer, elle en était certaine.

Courbé derrière son journal, le garde avait décroché le combiné et composé le numéro; allo, ici l'institut des chardons-bleus, lui avait-on répondu, et à ce moment-là, la ligne se coupa. Il abaissa le journal, et vit la licorne bleue et mince debout devant lui; un de ses sabots était posé sur le socle, et l'autre lui tendait un rectangle de papier. Prends-le, lui ordonnèrent ses yeux profonds et mélancoliques, immenses sur ce visage creusé et las, et il s'exécuta. Je suis partie aux toilettes, murmura la licorne en peignoir; il se vit glisser le chèque dans son armure, et reprendre la lecture de son journal; la page suivante était la page dédiée aux sports, sa page préferée. Les Merveilleux-Boulons venaient encore de remporter le derby, lut-il; cette saison s'annonçait grandiose.

Dévalant les allées enneigées sur la voie réservée aux véhicules, l'écume aux lèvres, Brumeuse tâchait de mettre le plus de distance entre elle et le poste de garde, son esprit surchauffé par l'adrénaline cherchant un endroit où se réfugier; elle y avait échappé cette fois-là, et savait que sa dernière carte y était passée. Elle n'était désormais plus en sécurité dans les rues de la capitale.

--

Debout sur le parapet du pont de la Discorde, Valentine "sabots-de-salope" laissait son esprit se perdre dans les profondeurs obscures et glaciales du fleuve qui traversait la ville; personne ne prêtait attention à elle. Chants des Étoiles lui avait souvent parlé de cet endroit alors qu'elles se promenaient en ville, dans un autre temps. C'était là qu'elle aurait dû se trouver, et c'était là que la quête désesperée de la licorne blanche avait trouvé sa fin. Elle avait parcouru le pont de long en large, appelé son amie, mais seul le silence lui avait répondu; Valentine le savait, c'est là que Chant des Étoiles avait mis un terme à son existence tragique.

Des larmes perlaient du coin de ses yeux, creusant des sillons dans son maquillage, avant de tomber dans le vide et de disparaitre dans le courant. Valentine savait qu'il n'y avait qu'un geste à faire, un simple pas en avant, pour refermer le livre de cette histoire de fous. Mais sa résolution n'était pas assez forte; pas encore. Elle se remémorait alors chacun des bons moments qu'elle avait passé avec cette pégase qui fut son amie, son mentor, et son réconfort quand tout allait mal; elle attendait d'être prête.

--

Brumeuse trottait dans une des avenues les plus fréquentée, les jambes en feu, incapable de courir; au moins avait-on peut-être fini par l'oublier, là d'où elle venait. Elle s'arrêta à un carrefour, et dressa la tête pour décider de la prochaine direction que suivrait son errance; ce fut à ce moment qu'elle aperçut la licorne blanche juchée sur le rebord d'un pont voisin, tâche blanche qui se détachait sur le décor lointain, grisâtre du reste de la ville; malgré la distance, elle la reconnut instantanément. Elle devina également que son amie s'apprêtait à faire quelque chose de regrettable.

"Mince... " gémit-elle. Elle recommença à courir, avec l'énergie du désespoir; mais même cette énergie-là manquait à l'appel, et elle mettrait de toute façon beaucoup trop longtemps pour franchir la distance qui la séparait du pont; paniquée, Brumeuse s'engagea sur la rue sans regarder; devant elle, un carrosse pila et la klaxonna.

"Tu pourrais essayer de t'égosiller à crier son nom, suggera une voix derrière elle, mais je ne pense pas que ça fonctionne."

Brumeuse sursauta en entendant sa propre voix. "Que... Que me veux-tu? Et qui est-tu, à la fin?!" balbutia t-elle à son interlocutrice, son propre alter-ego, qui venait de refaire son apparition. Autour d'eux, le monde était redevenu d'ombres.

"T'aider, rien de plus." répondit son autre version d'elle, une version désormais terrifiante, car elle était propre, coiffée et bien nourrie; une Brumeuse au meilleur de sa forme. "Je t'ai déja dit qui je suis: je suis ton potentiel caché. Une version désinhibée de ta personne. La voix de ta conscience, peut-être... Qui sait?"

Brumeuse recula. "M'aider? Après ce que tu m'as fait? ...Disparais! Cesse de me tourmenter!" glapit-elle, hors d'elle.

"Valentine est sur le point de faire des bétises, continua Brumeuse, sans prêter attention aux menaces de la licorne violette. Nous n'avons pas de temps, il faut parvenir à attirer son attention. On pourrait lancer quelque chose dans sa direction pour qu'elle se retourne... Une boule de neige, par exemple."

Brumeuse cligna des yeux. "Une boule de neige? A cette distance?"

"Tu sais très bien que c'est possible." répondit Brumeuse, intransigeante.

La licorne violette lâcha un râle dépité; l'autre n'avait pas cité la boule de neige par hasard. Déja parce qu'ils en étaient entourés, mais surtout parce que quelques hivers auparavant, c'était exactement ce que Souhaits-Sifflotés s'amusait à faire; tirer des blocs de neige glacée sur ses camarades à l'autre bout du jardin intérieur à l'aide de sa magie. Quelques plaintes pour blessures graves et de sévères corrections avaient mis un terme à ses bêtises, mais Brumeuse l'avait vu faire, et s'était demandé comment elle procédait.

"Elle utilisait la méthode de l'arc à air comprimé, tu te rappelles? A présent-"

"Je n'ai pas confiance, la coupa Brumeuse. Pas après ce que tu m'as fait la dernière fois. Qu'est-ce qui me garantit que je vais m'en tirer intact, cette fois-ci?"

L'autre Brumeuse s'avança vers elle, la regardant droit dans les yeux; un air malicieux éclairait son visage. "Parce que, tu sais quoi? Cette fois-ci, c'est toi qui va le faire. Je te donnerai juste des conseils. Et puis, au fond... Nous n'avons pas vraiment le choix, pas vrai? Et le temps s'écoule, Brumeuse."

Brumeuse réfléchit, regarda ses sabots, et fit d'accord de la tête. Le marché lui semblait légitime.

"A présent, écoute-bien mes instructions. Le but est d'enfermer la neige solide dans un tube borgne, et de la pousser vers le fond le plus fort possible; il suffit alors de relâcher ta prise dessus pour tirer le projectile. C'est entendu?"

Brumeuse hocha de la tête.

"C'est bien. poursuivit Brumeuse, en commençant à compacter de la neige. Maintenant, concentre-toi, et visualise le tube."

La licorne ferma les yeux, et sa corne brilla; à côté d'elle, l'air ralentit, puis freina, et se heurta à une structure invisible qui venait de naître dans les airs.

L'autre Brumeuse se mit debout sur ses sabots, et poussa le bloc de neige dans quelque chose d'inapparent; celle-ci se découpa en une forme cylindrique, et une masse de neige dont la forme évoquait une pilule pharmaceutique resta suspendue dans les airs.

"Parfait. A présent, assure ta prise sur la neige, et tire-là vers le fond, le plus rapidement possible; l'air comprimé va se réchauffer, et étanchéifier le projectile."

Brumeuse obéit; elle sentit le projectile freiné dans son déplacement par un ressort invisible, de plus en plus résistant; bientôt, elle fut incapable de tirer davantage le bloc de neige.

"Maintenant, vise-là, dit Brumeuse, en s'approchant de la licorne violette. Pas directement, mais un peu au dessus, pour compenser la chute de la neige; il te faut aussi tenir compte de la force du vent."

Brumeuse acquiesca en silence; elle orienta le tube en suivant attentivement les conseils de son alter-ego. Celle-ci lui avait humidifié l'oreille de sa salive, et elle attendait que le souffle du vent s'estompe; enfin, le moment propice arriva.

"Ca y est, je crois que c'est bon... Mais, et si je la touche?!"

"Un peu plus à droite. Force de Coriolis. Si tu la touche? Alors là... Nous n'avions pas vraiment le choix. A présent, lance la neige. Maintenant!"

Brumeuse coupa la magie de sa corne, et un claquement sonore éclata à côté de son oreille; sa personnalité schizophrène s'estompa, et le monde et le temps redevinrent normaux à la même seconde. Dans le ciel, un point blanc partait vers l'horizon, suivant une courbe parfaite; la licorne violette le regarda se diriger tout droit vers leur cible. Concentrée sur son tir parfait, encore un peu étonnée d'être arrivée à faire ça, elle n'entendit ni le hurlement du klaxon qui se rapprochait d'elle, ni le crissement des roues sur le revêtement glissant.

--

Le moment était proche; Valentine s'était repassée tous les moments qu'elle avait vécu avec Chant des Étoiles, toutes les humiliations qu'elle avait subi aux Poneys du décor. De ce passé, elle en avait désormais fait le deuil. La pégase lui avait ouvert le chemin, et elle savait que ce milieu allait la corrompre, puis la détruire. Elle regarda la surface des flots pour la énième fois, chercha une autre issue possible, mais n'en trouva pas; elle allait rejoindre Chant des Étoiles.

Elle s'aperçut alors qu'elle n'était pas seule. Il était apparu à côté d'elle; c'était lui qu'elle attendait. Elle posa sa tête contre la sienne, et renifla. "Il était temps." murmura t-elle.

Il répondit que jamais il ne l'abandonnerait.

"Ils m'ont fait des horreurs, si tu savais... " gémit-elle.

Il répondit qu'il était désolé.

"Je veux en finir. Je n'en peux plus."

Il répondit qu'il serait à ses côtés jusqu'au bout, et tendit son sabot.

Valentine le prit dans le sien, et avança avec lui jusqu'au bord du gouffre. Ils restèrent ainsi un instant, puis elle plongea son regard dans le sien, pour la dernière fois, et se perdit dans ses yeux, des yeux bleus, profonds, des yeux

Quelque chose de blanc et de rapide traversa son alter-ego, arrachant le soulier de Valentine avec violence et manquant de lui casser la patte. Celle-ci perdit l'équilibre et se rattrapa par réflexe, avec un cri de douleur mêlée terreur; du coin de l'oeil, elle vit le projectile disparaitre dans les flots en soulevant une énorme gerbe d'eau, et se retrouva à plat ventre sur le trottoir, tremblant comme une feuille. elle n'eut même pas le temps de se poser les questions qui s'imposaient; au loin se déroulait un spectacle dont elle ne perdit pas une miette.

Le corps désarticulé d'une pouliche qui fut son amie, dans un autre temps, suspendu dans les airs comme si le temps s'arrêtait, puis disparaissant dans la circulation; le bruit de freins lui parvint avec un retard surnaturel.

Valentine secoua la tête, et regarda derrière elle; Il s'était volatilisé, bien entendu. Quelle égoïste elle faisait... La vie est ce qu'on en fait, pas une voie tracée qu'il faut suivre, et dont il faut subir les tournants. Elle s'était attachée à une morte, et avait tourné le dos aux vivants, particulièrement à ceux qui tenaient à elle. Ces mêmes vivants qui étaient peut-être en train de disparaître.

Les passants virent la licorne blanche quitter le pont, et traverser le boulevard avec une vitesse et une grâce telle qu'on eût cru qu'elle ne touchait pas le sol; ses cheveux blancs flottaient au vent, et elle criait le nom de Brumeuse.

Des pneus? Du plastique? Des freins?