Le jour des départs était l'un des évènement les plus important du pensionnat de Joli Nuages. Pendant cette période, tout les occupants du château se rassemblaient dans une salle, avec la fébrilité de ceux qui ne savent pas ce qu'il se passera pour eux après la cérémonie pendant laquelle, comme lors d'une remise des diplômes, des noms etaient cités, et celles qui y répondaient avaient dès lors terminé leur formation. Elles faisaient connaissance de la famille dans laquelle elles avaient été placées, pouvaient dire au revoir a leurs amies, et quittaient le pensionnat pour toujours. Pour certaines, c'etait un soulagement. Pour d'autres, un déchirement. Pour la direction, une statistique.

La règle d'admission etait simple, basée sur le principe que celles qui ne partaient pas, n'ayant de fait pas été remarquées, manquaient juste de grâce, de beauté, de docilité, d'allure, et en conséquence de quoi, nécessitaient d'etre encore éduquées. On appelait cela un redoublement, ce qui signifiait encore de long mois passés derrière les murs froids, a réviser les poses, les pas, les recettes de cuisine et les manières de répondre. Peu de pensionnaires souhaitaient cela, même si quitter si brutalement l'univers qui les avait vus grandir etait aussi difficile. Certaines pensionnaires n'avaient jamais trouvé personne et finissaient par etre expulsées, ou partaient d'elle même.

Lors de la cérémonie, a laquelle assistaient les riches, les notables et ceux qui étaient plus ou moins interessés par la procédure, une voix s'elevait parfois, celle d'un indécis qui venait de faire son choix au dernier moment et décrivait maladroitement la pouliche de son choix en la montrant du sabot afin d'obtenir son nom, et plus tard, sa personne. On appelait cela "avoir son diplôme au rattrapage", quelque chose de rare, mais possible, raison pour laquelle le matin même, la plupart des pouliches qui n'avaient pas de perspective mais de l'espoir occupaient les lavabos et finissaient par se battre pour un peigne. Loin de cette activité frénétique, Valentine et Brumeuse broutaient de la neige pour faire passer le goût qui leur restait dans la bouche. Le museau dans le froid, grattant pour faire apparaitre quelque brins d'herbe gelés qui rafraichissaient l'haleine, elles savouraient cette activité simple, qu'elles auraient pu poursuivre des heures durant, gratter, manger, faire quelque pas, puis recommencer, en veillant à ce que personne ne les aperçoive. Mais le temps etait rare, et elles s'assirent pour regarder le chateau, sachant que le lendemain, elles ne se verraient peut-être plus jamais.

-Valentine.. commença Brumeuse, n'y tenant plus.

Valentine ne répondait pas, et semblait perdue dans ses pensées. Ce qui répondait un peu a la question de Brumeuse.

-Ton fiancé, continua Brumeuse, ton prince, as t'il prévu de te chercher aujourd'hui?

-... Oui, dit Valentine, hésitante. Il me l'a dit.

-Nous nous connaissons depuis longtemps, mais nous n'avons jamais parlé, dit Brumeuse.

-Ici, on ne parle pas, dit la licorne dans un souffle. Ici, on ne parle pas, car il n'y a rien a dire d'autre que ce qu'on nous dit de répéter.

A ce moment là, quelqu'un approcha derrière elles. En se tournant, elles virent le directeur.

-Intrigue, dans mon bureau.

Le bureau etait austère, et sentait le bois sec. Il etait propre, bien tenu, reflétait le caractère droit et carré de son propriétaire. Assise sur le plancher en bois, Valentine Intrigue attendait, seule. Brumeuse n'avait pas eu le droit de rester. Le directeur poussa la porte et s'installa derrière le meuble en bois.

-Je suis allé voir Souhaits Sifflotés. Tu te rappelle? Ta camarade de chambrée.

-Je me rappelle d'elle, monsieur, dit Valentine avec déférence. Elle portait encore sa selle et son écharpe, et commençait a avoir chaud. Pourquoi l'avait-on fait venir?

-Elle est encore *ahem*, absente pour quelque temps, suite a sa petite crise d'adolescence, mais rien de bien grave, voyons. Je suis sûr qu'elle s'en remettra très vite.

-Je ne pense pas, Monsieur, dit Valentine.

Le sourire bienveillant de Directeur du Directeur s'inversa sans pitié.

-C'est la raison pour laquelle je t'ai fait venir. Tu es une sale traînée, une éleve insoumise, turbulente, tu n'écoute pas, tu fais des escapades, par Celestia, des escapades en pleine nuit!

Valentine regardait dans un coin de la piece.

Le directeur frappa du sabot sur la table et la licorne ne put réprimer un sursaut.

-Pour aller voir un étalon, un sale vagabond, explosa t'il, sûrement dangereux, mais tu ne pense donc a rien?

Mais ce qui est le plus cruel, c'est ce que tu as fait à Souhaits Sifflotés. Je l'ai vue, et elle t'a dénoncée. Par ta faute, elle est incapable de se nourrir seule, elle a besoin d'etre assistée pour tout ce que fais une pouliche, tout, même pour pisser!

-Vous l'avez regardée pendant qu'elle faisait ses besoins? demanda la licorne sur un ton qui disait que ce n'était pas une vraie question.

Le sabot du directeur eût un sursaut en direction d'un cendrier en fonte.

-Que lui as tu dit? Que lui as tu fait? cracha t'il.


Valentine se remémorait la jument bleue, sa rivale. Le savon dans le fondement, les remarques dégradantes quotidiennes, les nuits passées dans la crainte et l'absence de sommeil, et quelque fois, les coups. Puis, lorsqu'elle n’était plus la, la cire qui lui brûlait la peau. Valentine savait que c'etait de la jalousie, Souhaits Sifflotés le savait aussi, mais s'y adonnait sans retenue, car dans l'ombre des volets fermés du pensionnat de Joli Nuages, il n'y a rien d'autre a faire.

-Je vais te le dire, ce que tu lui as fait, dit le Directeur. Ce fichu amant. Il ne te suffisais pas d'aller folâtrer clandestinement comme la dernière des paysannes, derrière le mur d'enceinte, d'envoyer des lettres et d'en recevoir, hein? Tu as voulue être généreuse, et lui en faire profiter!

Comme ça a dû etre dur pour elle, de ne pas succomber a cette tentation si horrible a laquelle tu avais déja cedée, pouliche débauchée. Et tu lui as agité ça sous le museau, comme si ça ne suffisait pas? "Par gentillesse", c'est ça? Réponds, Intrigue!

Valentine ne répondait pas, et sa respiration sifflait. Les larmes coulaient le long de son visage, absorbées dans son echarpe en grosse laine qu'elle avait reçue voila tant d'années, a l'époque ou il y avait encore quelqu'un pour penser a elle.

Valentine ne demandait rien a personne. Elle avait vécu son idylle comme elle pouvait, essayait de ne pas faire trop de bruit en sortant et supportait en silence les quolibets de ses camarades. Valentine n'etait pas quelqu'un de supérieur, qui essayait de dominer les autres. Mais maintenant, elle etait devenue celle qui écrasait les autres. Elle etait devenue celle qu'elle avait toujours fui.

-Comment s'appelle t'il, Valentine? Cet amant illégal qui a poussé une licorne a la perversion et une jument a la folie?

Valentine le regarda, sans avoir l'air de comprendre.

-Son nom. Maintenant! il a une certaine dette envers moi, une dette financière mais avant tout morale, dit le directeur en s'avançant vers la licorne assise au sol.

Valentine cherchait. Ses levres bougeaient comme si elle énonçait une liste, perdue. L'instant d'après, sa corne etait clouée au sol par le sabot du maître des lieux.

-J'ai dit: son nom! cria t'il. Essaie tu de me mentir? Tu seras châtiée jusqu'a ce que j'ai son nom! il y a un règlement dans cette école, que tu as tellement enfreinte qu'il aurait démissionné depuis longtemps si ç'avait été une personne! son nom!

-Il n'en a pas! hurla quelqu'un.

Le directeur regarda vers la porte, surpris. Elle n'etait pas fermée, et par la fente, il y avait la silhouette de Brumeuse. Brumeuse, la pouliche tellement timide qu'elle pleurait avant même d'arriver au centre de la piece, même si c'etait juste pour lui faire signer son bulletin. Brumeuse, la pouliche tellement réservée qu'on la confondait avec un meuble en lui marchant dessus. Brumeuse, la jument la plus proche de sabots-de-salope.

-Tu mens. N'essaie pas de la défendre, nous avons des preuves! dit le directeur en se rapprochant, laissant Valentine se relever péniblement.

-Il n'existe pas!

-Tu mens!

Brumeuse poussa l'encadrement de la porte, bloquée par le directeur.

-Il n'a pas de nom! Il n'a pas de voix! Il n'a pas de marque! Il n'est pas réel! cria Brumeuse.

Elle ne s'adressait pas au directeur, mais il ne le savait pas.

-Dégage, toi! tu n'as rien a faire ici! dit-il en la repoussant avec son sabot.

Un hurlement retentit dans la piece, qui n'avait plus rien d'équin. C'etait le cri d'une bête mourante. Valentine sauta dans l'interstice, força l'ouverture de la porte et disparût dans les couloirs, la respiration rauque. -Valentine! appela Brumeuse. Le directeur s'interposa devant elle en la foudroyant du regard, et elle se recroquevilla de peur.

-On réglera cette affaire après la cérémonie. Je crois qu'on aura une longue discussion quand ce sera fini, Brumeuse



Tout les poneys etaient rassemblés dans le hall du pensionnat de Joli Nuages. Vétue de sa tenue de cérémonie, la Gouvernante escalada l'estrade.

-Pouliches et gentil poulains! Je suis heureuse de voir autant de monde. Nous sommes rassemblés ici afin d'ouvrir la Cérémonie des départs, l'un des évènement les plus important du pensionnat de Joli Nuages, celui ou nos pensionnaires, après une si longue éducation, entreront enfin dans le monde aristocratique!

Cinq cent sabots martelèrent le sol en guise d'applaudissement. L'echo retentit jusqu'au bout du batiment, revenant par vagues, réveillant ces pierres vieilles de mille ans entre lesquelles la jeunesse de Nombreux Galops etait forgée.

La gouvernante rejoignit le bloc du personnel, et le directeur l'attrapa discrètement.

-Valentine n'est pas dans la salle, dit-il.

-Elle s'est enfermée dans sa chambre. Vous savez comme elle réagit aux remontrances. Si on la revoit ce soir, ce sera un miracle.

-Si on la revoit demain, encore plus.

-Que voulez vous dire? demanda la gouvernante, les yeux plissés.

-Ce fut une décision difficile a prendre. La Gouvernante serra les dents quand elle comprît. Une exclusion était un échec pour tout le monde, mais après ce que la licorne avait fait, il n'y avait effectivement plus d'alternative possible. Alors le lendemain, elle rassemblerait ses affaires et partirait pendant le repas de midi, par la porte de derrière. Et puis, continua le directeur pour lui, une fois en dehors du pensionnat, rien n'empêchait de poursuivre cette affaire. Ce serait même plus facile.

-Personne de censé n'aurait jamais voulu d'elle.

Rassemblées d'un coté de la salle, les pensionnaires de dernière année, vétues de leur plus belle robes de soirée, attendaient, le coeur battant, cherchant du regard celui qui pourrait etre le compagnon de toute une vie. De l'autre coté, des familles nobles cherchaient du regard celle qu'ils avaient choisis sur le catalogue. Alors la lecture des noms commença, et c'est avec une immense fierté que la désignée s'avançait, rencontrait ses beaux-parents, que l'union etait scellée et qu'ils retournaient s'asseoir ensemble sur le banc des visiteurs.

Pendant ce temps, dans la chambre la plus éloignée des dortoirs, une licorne blanche terminait les tube de maquillage de ses camarades. Ses yeux ne pleuraient plus, ses larmes etaient taries. Son coeur battait contre sa poitrine, empli d'un immense espoir, et sa patte ne tremblait pas.

Les bancs se vidaient coté pensionnaires, et a chaque éleve choisie, les restantes se résignaient a rester quelque mois de plus. C'etait le déroulement normal d'une Cérémonie des Départs. Le directeur tapait des sabots dans le bloc réservé au personnel, un peu las. La gouvernante arrivait en bout de liste et tout arriverait bientot a la fin. La plupart des éleves etaient casées, y compris certaines qui posaient problème, ce qui etait l'avantage d'une répartition financière. A la fin, il y aurait moins de monde, et la fin d'année serait un plus facile. Le directeur pensa a Valentine, qui foutrait enfin le camp d'ici, et la fin d'année serait beaucoup plus facile. Il se demandait pourquoi elle n'avait pas été renvoyée avant. Il aperçut un mouvement au loin, sentit ses testicules rentrer dans son corps et regretta soudain de ne pas l'avoir renvoyée avant.

Le bruit de sabots trottant sur le carrelage fit tourner la tête a toute l'assistance. La légereté des pas accompagnaient les froufroutement d'une robe légère et noire, qui caressait le sol sur son pan le plus long. L'habit, qui avait été introduit Celestia sait comment dans l'établissement (l'avait elle fabriquée elle-même?) contrastait incroyablement avec les robes des autre pensionnaires, restées dans un style classique millénaire, qui la regardaient passer en ouvrant des yeux carrés. Les fins chaussons de satin a la semelle d'argent ne touchaient presque pas le sol, mus par une souplesse et une grâce de fauve. Ses yeux etaient maquillés, et le motif, loin de s'arrêter a la paupière, dessinait des arabesques d'une complexité inimaginable le long de son visage, que le regard ne pouvait que suivre inexorablement tant il était saisissant.Ses cuisses transparaissaient entre les voiles de la robe, révelant fugacement la marque aux fleurs de lys sur les muscle lourds qui roulaient sous la peau, sur laquelle apparaissaient encore les traces de la baguette. Le regard de la licorne brillait, et lorsqu'elle passa sous la lumière, il sembla a l'assistance qu'elle etait comme un papillon qui allait prendre son envol.

Jamais chose si etonnante et scandaleuse n'avait foulé le sol de l'établissement. Interdite, l'assistance ne disait mot, pendant que Valentine, qui etait si discrète autrefois, s'arrêta au milieu des deux gradins et regarda autour d'elle.

-Casaneighva!

-Nom de Celestia, qu'est-ce qu'elle fiche là? souffla le directeur, blanc comme un linge. Je pensais que sa porte etait verrouillée et surveillée!

-Casaneighva!

-C'est son amant? Il est dans la salle?

Les poneys regardaient autour d'eux, cherchant celui qui aurait pu répondre a l'appel.

-Casaneighva!

La voix de Valentine Intrigue se brisa.

-Casaneighva...

-Il n'est pas venu! Par Tarnation, il lui a posé un lapin, le coureur de jupons! jubila le directeur du pensionnat, le visage fendu d'un sourire de victoire.

La licorne etant ageunouillée au sol et tremblait. Son regard etait éperdu de détresse. Un malaise certain parcourait la foule, personne ne sachant que faire. Un murmure gêné montait dans le hall, il y eut des moqueries.

-Valentine Intrigue, veuillez quitter la pièce immédiatement, vous avez été exclue, intima la gouvernante sèchement, ramenant le silence. La licorne la regarda comme si elle ne la connaissait pas. En prise a une panique de plus en plus intense, Valentine Intrigue contemplait sa vie qui se brisait petit a petit.

-Retournez dans votre chambre, maintenant!

-Pardonnez moi, dit une voix.

Le public se tourna vers un poney gris, aux grosses lunettes noires, a la crinière blanche et avec un éventail sur les fesses.

-Oui, pardonnez moi d'interrompre le protocole, toute ces choses, dit Prétentieux, qui est cette pouliche si.. Bizarrement habillée?

Prétentieux etait un styliste dont la renommée n'etait plus a faire. La moitié des habitants d'Equestria voulait sa mort, l'autre moitié voulait ses vêtements. Comme il disait lui même, "c'est facile de contenter le peuple".

-Elle s'appelle Valentine Intrigue, dit le directeur. Elle a été exclue aujourd'hui pour insoumission, violence envers ses camarades, immoralité..

La liste des faits reprochés a la licorne fut étalée au grand jour, sans la moindre pudeur. La principale intéressée n'entendit même pas.

-C'est excellent, vraiment, continua Prétentieux. Exclue, dites vous? Je serais ravi de vous aider a déménager ses affaires, gratuitement j'entend. Voyez vous, je cherchais quelqu'un capable d'inspirer quelque personnalités, quelque tempéraments a ma vision de la mode. Non que je critique les gentilles petite pouliches sages assises en face de nous, hahaha, plaisanta Prétentieux, se faisant de nouveaux ennemis, mais je reste convaincu qu'un peu de fraîcheur ne fait pas de mal, surtout dans notre milieu. En voici une jolie robe originale, elle fera certainement partie d'une prochaine gamme, continua Prétentieux, se faisant de nouveaux clients, et quel modèle pour la porter! Ce milieu a une telle concurrence, c'est une chance pour elle.

La gouvernante et le directeur se regardèrent, puis regardèrent Valentine, qui avait le visage saccagé par le maquillage emporté par les larmes, et regardèrent le styliste.

-Faites en ce que vous voulez, dit la haute autorité du pensionnat de Joli Nuages en balayant l'air d'une patte. Je crois que je ne veut plus du tout la voir. Celestia vous garde.

Et pour la première fois dans l'histoire du pensionnat de Joli Nuages, une éleve eut son diplôme au rattrapage après avoir été exclue.


Loin de là, au fond d'une chambre grise, une jument bleue dessera les levres

-Valentine.. Pauvre fille..


Dans l'assistance, quelqu'un pleura en silence. Brumeuse regarda partir Valentine Intrigue aux pattes traînantes, sa seule amie. Elle ne s'en tirerai pas toute seule, car elle avait perdu la raison, et Brumeuse etait la seule a le savoir.

Valentine ne comprenait pas trop ce qu'il se passait, et s'en fichait. Elle avait été dupée. Quelqu'un devait payer.

Arrgh ! Cette séparation, elles vont mal le vivre je crois ^^

Et c’est ainsi que quelques remplissages de formulaires et une poignée de sabots plus tard, Valentine se retrouva dehors, dévêtie et démaquillée. Elle jeta un regard vide sur les immenses grilles argentées qui se fermaient lentement derrière elles, et se perdît un instant dans la contemplation des arbres et de la pelouse du jardin du pensionnat, mais Prétentieux, abaissant ses lunettes de soleil, lui lança un regard impatient et elle le suivît vers son luxueux carrosse. Déjà vu de l’extérieur, le véhicule forçait le respect ; long d’environ quinze mètres, décorés d’arabesques complexes et de gravures dorées, il était tout à fait à l’image de son propriétaire. Même dans son état de détresse sentimentale, Valentine ne pût s’empêcher de dévorer du regard les quatre splendides étalons de trait qui attendaient patiemment le retour de leur patron en jouant aux cartes. Mais tout cela n’était rien comparé à ce qui l’attendait à l’intérieur ; dix sièges de velours qui ne demandaient qu’à lui flatter la croupe, un tapis mauve incroyablement agréable aux sabots, et, au centre, une magnifique table en ébène décoré de carreaux luminescents multicolores. Vraiment, elle n’avait jamais rien vu de tel.
Avachis sur les sièges, deux poneys faisaient la conversation autour de cocktails fluorescents. La première, une Terreuse rose pâle à la crinière rose sombre, coiffée de manière aussi singulière que remarquable et vêtue d’une blouse de créateur, parlait de la meilleure façon de porter une cravate ; l’autre, un étalon gris à la crinière bleu électrique en iroquois, portait une combinaison moulante argentée et acquiesçait les dires de son interlocutrice d’un air absent, en faisant tourner l’olive dans son verre.

« Allez, montes, ma chère Valentine » fît Prétentieux, toujours dehors. « Il commence à faire froid, dehors. »

Valentine ne se le fît pas demander deux fois et gravît le marche-pied, et se posa timidement sur le siège le plus éloigné des deux autres poneys, faisant de son mieux pour ne pas dévisager ces étranges personnages. C’était la première fois qu’elle approchait de près un terreux, et, bassinée depuis sa tendre enfance de discours méprisants envers les races « inférieures » de poneys, elle craignait un peu d’attraper quelque maladie. Indifférent au mal-être de Valentine, Prétentieux parla.

« Mes chéris, je vous présente Valentine … » il sortît le formulaire de la poche de son veston, le regarda et le rangea aussitôt . « …Valentine Intrigue, notre nouvelle vedette. Offrez lui l’accueil qu’elle mérite. »

« Nouvelle? Mais, chéri, nous venons de signer un contrat avec Rivage de Saphir! » fît la pouliche rose.

« Elle a raison, baby. » ajouta l’étalon gris, avant de finir son cocktail d’une traite. « On ne parle que d’elle à Equestria, elle est clairement dans le coup. »

« Mais dans le coup, c’est dépassé » répliqua Prétentieux d’un ton condescendant, s’asseyant à côté de Valentine, qui se décala un peu de peur de le toucher. Il tira sur un cordon et une petite cloche se mît à sonner.

« Tu veux dire quoi, en fait? » Le carrosse s’ébranla et se mît en route.

« Dans le coup, dépassé. Dépassé, dans le coup. Simple, non? » Prétentieux sortît un verre en cristal et se versa un peu du cocktail fluorescent. « Tu vois, dépassé est dans le coup, Oréal. C‘est aussi simple que ça. »

Valentine se taisait. Elle ne comprenait rien à ce que les trois poneys autour d’elle racontaient, et elle était terrifiée. Il y avait quelque chose de dérangeant dans ce carrosse ; les paillettes, les teintes fluorescentes, les coiffures improbables de ses occupants et leurs tenues affriolantes … On ne l’avait jamais préparée à ça. On lui avait appris à faire la révérence, à boire le thé comme une pouliche distinguée et à se tenir droite à tables ; ces poneys là ne lui avaient même pas dit bonjour, buvaient cocktails sur cocktails et se tenaient allongés sur la banquette ou les sabots sur la table. Elle se demanda si tout les terreux étaient comme ça, si ces mêmes poneys travaillaient aussi dans les champs et ce que pouvait bien dire tout ce charabia à propos de choses « dans le coup » ou « dépassée. ».

« … Mais alors, supposons que quelque chose soit un jour dans le coup, et que le lendemain il soit dépassé, alors est-ce qu’il redevient dans le coup ? » s’enquît la pouliche rose, en se massant les tempes.

« Je n’y comprends rien, Prétentieux » gémît l’étalon gris, qui étalait pour la troisième fois en une heure une pâte gluante dans sa crinière. « Et si tu nous disais plutôt en quoi ta pouliche est si exceptionnelle? »

« Oh, c’est vrai, j’en oublie toutes mes manières. » Prétentieux sourît et passa sa patte autour de l’épaule de Valentine, qui glapît, brutalement tirée de sa rêverie. « Valentine, je te présente Oréal, mon assistant-styliste, et Poussière d’Etoiles, mon assistante-coiffeuse. Mes amis, Valentine servira de figure de proue au lancement de notre nouvelle gamme de robes, que j’ai nommée … » Il prît un instant pour réfléchir, faisant des moulinets en l’air avec son sabot. « … Mania. »

« Voyons, chéri, tu sais bien que Photofinition nous a volé le marché des robes il y a déjà trois ans » fît Poussière d’Etoiles d’un ton embarrassé. « Tu penses vraiment qu’une pouliche de pensionnat pourrait faire mieux qu‘elle? » L’indifférence flagrante que manifestait la terreuse rose à son égard commençait à froisser sérieusement Valentine. Ces rustres n’avaient-ils donc aucune manière? La licorne aurait aussi bien aimé que ce Prétentieux ne le touche pas comme ça, sans même demander son avis.

« Oh, Poussière d’Etoiles chérie, tu n’as jamais eu le chic pour détecter le talent. Je me demande même parfois comment tu as pu trouver le tien. » répondit Prétentieux avec un petit rire moqueur. « Il se trouve que notre Valentine a fabriquée … » il attrapa la poignée d’une mallette entre ses dents, et tapa dessus pour l’ouvrir. « …ça. »

Prétentieux étala la robe de Valentine sur la table avec un petit sourire satisfait. La mâchoire de ses deux assistants tomba, et Valentine rougît et détourna se força à regarder dehors.

« Oh, par Celestia … » s’ébahit Poussière d‘Etoiles, qui n’en croyait pas ses yeux.

« L’étoffe est vulgaire, les coutures imparfaites mais … oh, baby! A la fois chic et branché … classique et nouveau … dépassé et dans le coup … » fît Oréal, dissimulant à peine sa jalousie.

« Et dire que je porte cette … horreur … » Poussière d’Etoiles regarda sa blouse pourtant hors de prix et grimaça.

« Même un étalon voudrait porter une robe aussi splendide … »

« Tu en sais quelque chose, n‘est-ce pas? »

« Tais-toi, baby. »

« BON! » Prétentieux rangea brutalement à la robe et referma la mallette, l’arrachant aux regard avide de ses assistants. « Je vois que tout le monde est convaincu. Valentine sera notre inspiration et nouveau modèle dès demain. Je compte sur vous pour répondre servilement à toutes ses instructions et … »

« … monsieur Prétentieux? » fît Valentine.

« … et je dis bien tout! Si elle veut du champagne, versez lui le meilleur, vous ne vivez désormais que pour l’aider à briller sur notre future nouvelle collection et … »

« … s’il vous plaît … »

« … et d’ailleurs,¨Oréal, tu changeras de chambre ; je ne sais plus pourquoi je t’avais donné la plus grande, mais tu ne la mérites clairement plus … »

« ECOUTEZ-MOI, BANDE DE RUSTRES POMPEUX! » rugît la licorne, en tapant des deux sabots sur la table. Un des carreaux colorés se fendît en son milieu, et arrêta de briller. Oréal, terrifié regarda Poussière d’Etoiles, qui regarda à son tour Prétentieux, le suppliant du regard.

« … Oui, chérie? » fît-il d’un ton suave.

« Je … Je ne veux pas de tout ça! Vous ne m’avez même pas demandé mon avis! Vous êtes tous … bizarres et impolis! Mais enfin, vous vous êtes regardés? Ces coiffures étranges! Votre langage bizarre et incompréhensible … Et … Mais enfin, regardez votre combinaison, on devine la forme de votre … votre… » hurla-t-elle en pointant du sabot l’entrepattes de Oréal, ne pouvant s’empêcher de rougir un peu. Il croisa les pattes et émit un hennissement nerveux, et détourna le regard. Elle s’arrêta une minute, haletante, se calma et reprît sur un ton plus bas. « Je ne sais même pas comment j’ai faite cette robe … Je ne m’en souviens même plus, je suis si malade, je veux juste être un peu … tranquille… » Une larme coula sur sa joue, et elle enfouit sa tête entre ses pattes.

Une minute passa. Finalement, Prétentieux rompît le silence.

« Allons, Valentine, tout va bien se passer … On veut juste t’aider à exploiter ton potentiel, et tu nous aides en retour. Tu comprends? C’est juste un échange de bons procédés, tu n’es pas faite pour errer dans la rue ou être enfermée aux Chardons Bleus, après tout … »

« Il a raison,tu sais. Tu t'y feras vite. Tiens, bois un peu de champagne. » Poussière d’Etoiles déboucha une bouteille dorée et lui versa un verre, qu’elle vida en un coup, et servît toute la table.

Quelques verres plus tard, Valentine Intrigue avait déjà oubliée le pensionnat. Une autre bouteille plus tard, elle avait oubliée Casaneighva. La troisième vidée, plus rien ne l’inquiétait. Le carrosse s’arrêta finalement à la boutique de Prétentieux, mais personne n’en descendît, car tout le monde dormait déjà d’un sommeil d’ivrogne.