Tout le jour durant, Luna s'était tenue tranquille; les serviteurs avaient enfin passé leur première journée agréable depuis des semaines, et même Celestia était venue à deux reprises frapper à la porte des appartements de sa soeur pour voir si tout allait bien. "Je vais très bien, Tia!" lui avait-on répondu de l'autre côté du battant d'une voix qui ne mentait pas. Aussi finit-on par cesser de s'intéresser à son cas et à la laisser tranquille; Luna passa ainsi la journée enfermée dans sa chambre. Tous pensaient qu'elle voulait rester au calme, alors qu'en réalité, la princesse de la nuit était surexitée et ne tenait plus en place; elle bondissait d'un coin à l'autre de sa chambre, piétinant ses peluches en laissant échapper un "pardon!" quand cela arrivait, passant de sa fenêtre à sa penderie à son lit à sa fenêtre dans un cycle sans fin. Elle ne s'était calmée que lorsqu'elle avait aperçu sa soeur et cette petite vermine qui la lui avait volée partir pour une ballade en ville; elle s'était alors cachée derrière le rebord de sa fenêtre, laissant dépasser juste ce qu'il faut pour les épier sans être vue, en chantonnant une petite chanson dont elle avait inventée les paroles elle-même, qui racontait l'histoire d'une fleur violette qui se faisait cueillir et vider impitoyablement de tout son nectar.

La nuit avait fini par tomber, et en haut de la plus haute tour du château royal, revêtue d'un manteau aussi sombre que son pelage, Luna attendait son heure; le soleil se faisait manger par la ligne de l'horizon, et l'heure d'officier approchait. Enfin, le dernier rayon du soleil, vert comme l'émeraude, alla frapper la rétine de la princesse de la nuit, qui s'éleva dans les airs par de puissants battements d'aile, dominant tout le royaume et même le château de sa présence; Luna tendit ensuite les bras vers l'horizon et sa corne devint incandescente lorsqu'elle agrippa les milliards de tonnes de roche et de poussière qui attendaient leur tour, hors des regards. D'un geste expert, Luna leva les pattes avant et plia les sabots vers elle, comme pour dire: Viens. La lune lui obéit et monta au firnament dans un souffle grondant; sa maîtresse la lâcha alors et l'astre des nuit poursuivit sur sa lancée, progressant lentement et tranquillement à travers le ciel étoilé; dans quelques heures, elle aurait traversé la voûte céleste et ce serait à sa soeur de relancer le soleil, dans un cycle qui ne connaîtrait jamais de fin.

Luna observa quelques instant le disque sélène avancer dans la nuit; son rôle était terminé... au contraire de sa soirée. En effet, elle avait quelque chose à faire; Celestia ne se douterait de rien car elle savait que sa chère petite soeur avait l'habitude de se promener dehors le soir après avoir levé la lune, avant de se coucher. Il fallait faire vite, cependant; sans perdre de temps, Luna fila à travers les airs en direction de la bordure de la ville qui s'étendait à ses pieds, telle une étoile filante bleutée et presque invisible dans la nuit.

Pendant qu'elle fendait les airs, Luna se remémora le plan infaillible qui l'avait travaillée toute la journée: il s'agissait tout simplement de ravir le coeur d'Étincelle du crépuscule à sa soeur, pour énerver celle-ci tout d'abord, et ainsi obtenir un peu plus d'attention de sa part; d'autre part, même si cette partie du plan échouait, elle aurait enfin quelqu'un avec qui s'amuser, et sa vie redeviendrait à nouveau épanouie et follement excitante. Luna se frotta les sabots et gloussa: en effet, c'était le plan parfait! Mais pour cela, il lui faudrait quand même un peu d'aide. En effet, Luna cherchait -le mot lui avait échappé, comme d'habitude, et elle mit un moment à le retrouver- un "dealer".

Dealer, c'était un peu comme colporteur, sauf qu'il vendait des produits illégaux et dangereux, qu'il était très dangereux et qu'il ne fallait jamais s'en approcher sans la présence d'un adulte dans les parages. Luna l'avait lu dans le dictionnaire visuel que sa soeur lui avait acheté peu après son retour, et poussé avec insistance à lire dans son intégralité, pour "comprendre le monde d'aujourd'hui". L'image représentait un poney à l'air inquiétant, vétu d'un chapeau melon, d'un manteau à col de fourrure, qui tenait une valisette sous la patte; c'était précisément ce que Luna était en train de chercher, alors qu'elle survolait la zone du port de la ville. Au détour d'un coupe-gorge, elle vit quelqu'un, et tendit le cou pour mieux voir; bingo! le même que sur la photo, chapeau melon, manteau à col de fourrure, cigare aux lèvres et même la valisette. La princesse de la nuit amorça alors la descente et se posa deux rues plus loin, dans un cul-de-sac; elle enfila la capuche de son manteau et ferma les yeux, éteignant l'un après l'autre chacun de ses attributs magiques; quand ce fut fait, elle était redevenue une jument juvénile à la crinière bleu ciel, à peine plus qu'un pégase et à peine plus qu'une licorne, les ailes dissimulées sous son long manteau noir; ainsi, personne ne la reconnaîtrait, et elle rejoignit l'endroit qu'elle avait aperçu depuis les airs en trottinant d'un pas léger, préparant à l'avance le discours qu'elle allait leur sortir pour se présenter.

Le colporteur n'était pas seul, un autre poney aussi inquiêtant et aussi mal rasé que lui, cette fois en habit de docker, était debout à côté; ils tournère tous deux la tête dans sa direction quand elle fit son entrée dans l'étroite ruelle. "Heu, messieurs, bonsoir! Je..."

"Hééé, regarde-moi ça ce joli morceau de pouliche qui vient se promener dans l'un des pires coins de cette ville seule et sans défense, t'as vu ça, Jim?" la coupa le docker d'une voix grasse et râpeuse, aussi abrasive que du papier de verre.

"sacré joli morceau de pouliche ça, ouais." approuva son compagnon. Il tira une bouffée sur son cigare et fit naître un cercle qui se dissipa dans l'air froid de la soirée.

Luna ouvrit la bouche pour poursuivre, mais on la coupa encore une fois. "Et on peut se demander ce qu'un joli morceau de pouliche comme toi peut bien trafiquer par ici, continua le docker qui s'avançait désormais vers elle, un sabot derrière le dos. Tu t'es perdue, dis, petite?"

"Et bien, en fait, je-IIiiih!" commença Luna; sa voix s'était transformée en exclamation de surprise quand, arrivé à sa hauteur, son interlocuteur sortit une lame brillante de nulle part et la colla contre sa propre trachée.

"T'inquiètes pas, on va te ramener chez toi, ma jolie, lui expliqua son agresseur en la jetant sur un tas de sacs de toile d'un geste expert. Non sans t'amocher un peu, toutefois, c'est un endroit très dangereux pour les jolis morceaux de pouliche comme toi ici la nuit, ouais."

Luna essaya de se relever, mais trop tard, le poney mal rasé la maintenait à terre de tout le poids de son corps, et elle pouvait d'ici sentir son odeur révulsante, mélange de sueur rance et d'un tas de parfums corporels bon marché; elle tenta de se débattre mais il la rappela à l'ordre du fil glaçé de son rasoir; derrière eux, au loin, le colporteur regardait la scène sans rien dire, un méchant sourire aux lèvres; la lueur de son cigare éclairait la moitié de son visage d'une lueur malsaine.

"J'arrive toujours pas à comprendre pourquoi tu t'es fourrée là-dedans, petite... Tu nous cacherais pas quelque chose, si?" continua le docker en faisant sauter un par un les boutons de la cape de Luna de son sabot droit, le gauche étant employé à comprimer la trachée de sa victime pour étouffer ses plaintes et protestations et obtenir un peu de silence. Celle-ci essaya de répondre, mais sans succès, et jugea que les choses tournaient au vinaigre et que tant pis pour la discrétion.

Le docker vint finalement à bout du dernier bouton, et fourra la patte dans ses revers emmêlés, parvenant jusqu'au ventre chaud et sans défense de sa victime, ce qui lui arracha un ricanement victorieux; il bavait. A aucun moment, il ne vit la chevelure de Luna briller d'un éclat éblouissant, celle-ci étant dissimulée par la capuche du vêtement. De même qu'au moment ou sa victime au bord de la suffocation rabattit la tête en arrière et reprit goûlument sa respiration, il ne prêta pas tellement attention au râle qu'elle émit alors qu'une centaine de litres d'air traversa son pharynx en moins d'une seconde. La suite des événements resterait à jamais confuse dans sa tête, de toute façon.

Faisant fi du rasoir, Luna redressa violemment la tête vers son agresseur, et tonna: "...STOP!!!"

L'onde de choc projeta le docker en arrière à la vitesse d'un boulet de canon en direction d'un mur dans lequel il s'encastra, et arracha chapeau et cigare de son acolyte qui fut lui-même projeté au sol et resta par terre, étourdi.

Un nuage de poussière troublait l'atmosphère; le colporteur passa en position assise en maugréant d'incompréhension, tatonna autour de lui pour retrouver son chapeau rond; au moment où il l'enfila sur sa tête, il regarda devant lui et La vit; la reine de la nuit se tenait debout au milieu du chaos, à quelques mètres de lui, le symbole lunaire sur ses flancs et ses yeux brûlants d'un éclat blanc éblouissant. Et elle le regardait.

Sa respiration devint haletante quand, un sabot après l'autre, l'apparition se mit à s'avancer vers lui, d'un pas lent et digne; à mesure qu'elle s'approchait de lui, il se traînait dans la boue vers le sens opposé en poussant de petits cris aigüs; la présence fortuite d'un mur mit un terme à son échappée héroïque et il se prostra au sol, un sabot tendu devant lui pour se protéger. "Pitiééé~" gémit-il; un petit clapotis régulier se fit entendre et une flaque sombre apparut entre ses cuisses, rajoutant honte et inconfort à la terreur qu'il ressentait. La déesse de la lune avançait toujours; arrivés à moins d'un mètre de lui, les deux sabots se rangèrent l'un à côté de l'autre, et elle le domina alors de tout son corps; le poney en manteau joint les sabots et demanda pardon au ciel pour tous ses pêchés d'une petite voix larmoyante.

"Ta reine te parle. Relève la tête."

Celui-ci obéit, ou plutôt essaya; mais il était incapable d'affronter le regard de la royale présence qui le tenait à sa merci, et la flaque grandit encore un peu.

"Es-tu un... 'dealer'?" demanda la déesse de la nuit.

"Non, non, je ne suis pas un dealer, je suis un proxénète, pleurnicha t-il, priant pour que sa mise à mort ne soit pas trop douloureuse. Les dealers ne fument jamais le cigare. Pitié, pitiééé..."

"Proxénète?"

"Ben, oui, un proxénète quoi, un maquereaud, si vous préférez."

Luna releva un sourcil. Pourquoi ce poney lui bredouillait à propos de poisson, où était le rapport, était-il déja devenu fou? Elle se rappela ensuite qu'elle avait abandonné la lecture du dictionnaire visuel à la lettre 'G', et qu'elle avait passé le reste de l'après-midi à se rouler dans les hautes herbes du palais, ce qui était follement plus amusant. Elle ne l'avais jamais rouvert depuis. Elle secoua la tête et poursuivit:

"Mais tu ressembles à un dealer... J'ai besoin d'une... came. Je cherche quelque chose qui permettrait de rendre une jument éprise de passion pour quelqu'un d'autre, comme un philtre d'amour. Y a t-il des cames qui permettent de faire ça?"

Le colporteur, qui n'en était définitivement pas un, releva toutefois la tête et s'écria que oui, avant de ramper dans la fange en direction de sa valisette comme si cela avait pû lui sauver la vie. Il l'ouvrit, et Luna agrandit les yeux en voyant toutes les choses oblongues, violettes et pailletées qu'elle contenait; il y en avait presque autant que dans la table de nuit de sa soeur, et elle n'avait pas la moindre idée de leur utilité; tout ce qu'elle savait, c'est qu'ils avaient un goût bizarre, pas si désagréable, mais bizarre.

"Voici, votre Magesté, balbutia son interlocuteur en lui tendant une plaque de capsules d'un sabot tremblotant. C'est tout ce qu'il me reste, laissez-moi la vie sauve, je vous en supplie!"

Luna fronça les sourcils. il était écrit: "L<3ve suppos", et il y en avait deux.

"Un philtre d'amour en suppositoire? Vous avez vraiment de drôles de manières, aujourd'hui. Tu me garantis que cela fonctionne, et qu'elle sera folle éprise de moi comme jamais elle n'a été éprise d'amour pour quelqu'un?"

"O-oui, je vous l'assure, l'effet dure cinq heures et c'est très efficace. Je... Je peux y aller, maintenant?"

La déesse lunaire balaya l'air du bout de son sabot tout en contemplant pensivement ce qu'il lui avait donné, et celui-ci partit sans demander son reste, laissant valisette, cigare et acolyte évanouï sur place. Luna fut tentée de lui ramener sa valise, pensant qu'il en aurait peut-être besoin; mais le temps pressait, et elle prit le chemin du retour par la voie des airs, pressée de mettre son butin à contribution.
Luna n'était plus un poney, c'était une panthère, un fauve en chasse. Elle avait de nouveau laissé ses pouvoirs de côté, et traquait le gibier avec une passion et une habileté qui, elle en était persuadée, l'aurait confondue avec l'un de ces gros félins. Pris dans sa coiffe, l'un des philtres d'amour en capsule soluble prêt à servir; l'autre était planqué dans sa chambre, mais elle espérait ne pas rater son coup.

Étincelle du Crépuscule apparut à l'extrémité du couloir; vive comme l'éclair, Luna se tapit sous une armoire et attendit que sa proie lui passe devant, ses yeux brillants d'une terrifiante avidité. Étincelle du Crépuscule transportait une minuscule trousse de toilette entre ses dents et chantonnait une petite chanson, quelque chose qui ressemblait à hmmm-hm-hm-hm-hmmmmm. De toute évidence, elle revenait d'une des salles d'eau, où elle était allé se brosser les dents. Étincelle du Crépuscule était actuellement en vacances, et passait un séjour au château pendant ses congés; elle était présente vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Luna la laissa prendre un peu d'avance, puis sortit de sa cachette; à pas de loup, le ventre touchant presque le sol, Luna gagna peu à peu du terrain sur sa victime, qui ne se doutait de rien; elle se pourléchait les babines, et tous ses sens étaient en alerte, guettant la moindre réaction de sa cible.

Étincelle du Crépuscule laissa alors tomber sa trousse de toilettes. "Oups! hihi." s'exclama t-elle en se baissant pour la ramasser; sa queue se souleva alors, révélant certaine des entrées les plus intimes de son corps; c'est le moment, songea Luna, et folle d'excitation, elle usa de sa magie de poney pour armer le suppositoire d'amour, l'humecta d'un coup de langue humide pour le préparer à l'inoculation, l'orienta pointe en avant, se concentra pour l'envoyer au plus profond de sa cible, peut-être même jusqu'a son coeur; encore une seconde et...

"Luna??"

Luna sursauta et poussa un cri aigü en entendant la voix de sa soeur; elle perdit l'équilibre, et tenta de se redresser tout en dissimulant son arme coupable, ses sabots raclèrent le sol, elle tomba deux ou trois fois, se redressa et ce fut au terme d'un désaccord indescriptible avec ses propres pattes qu'elle se retrouva dos au mur, les sabots cachés juste au dessus de la croupe, l'objet coupable serré entre les deux. "O-oui, Tia...?" répondit-elle avec un rictus paniqué qui dévoilait toute la gamme de ses dents blanches.

Celestia s'avança vers elle et Étincelle du Crépuscule, qui s'était retournée et regardait la soeur de sa maîtresse, aussi interloquée que celle-ci.

"Qu'est-ce que tu t'apprétais à faire, Luna? Tu caches quelque chose dans ton dos?"

Luna déglutit péniblement, et utilisa une discrète impulsion de magie pour envoyer le suppositoire dans le seul endroit où personne ne songerait à chercher; elle se retint de justesse de grimaçer. "N-non, du tout soeurette, dit-elle en montrant ses sabots vides pour faire preuve de sa bonne foi. Je voulais juste..."

"Juste?"

Un silence de mort s'abattit sur eux, chacun regardant tout le monde. Soudain, Luna bondit vers Étincelle du crépuscule en criant: "CHAT!" et s'enfuit à travers le couloir au triple galop; Celestia et son étudiante la regardèrent disparaître, puis se regardèrent et haussèrent les épaules.

--

Enfermée dans sa chambre, la respiration sifflante, Luna bouillait de rage, mais pas que; elle était immobile au milieu de la pièce, le dos cambré comme elle n'aurait pas cru cela possible, les fesses en l'air et la queue dressée comme une invitation; elle aurait tout donné pour changer de position, mais dans l'état où elle était, c'était tout simplement la seule position un peu confortable dont elle disposait. Bien sûr, elle s'était précipitée aux toilettes après son échec, mais il n'avait fallu que quelques secondes au suppositoire pour fondre et libérer un mélange d'hormones, de phéromones et d'extrait de piment à l'intérieur d'elle; à présent, elle avait l'impression d'avoir les tripes en feu, le moindre contact avec quelque chose de pelucheux faisait l'effet d'un bidon d'essence, et elle était persuadée que le filtre d'amour suppurait à l'extérieur et venait se répandre sur un autre endroit encore plus sensible de sa personne.

"C-cette petite p-p-peste ne perd rien pour att-ttendre, hoqueta t-elle. D-désolé, Stripey."

Entre ses cuisses, Stripey aurait certainement répondu "pas de quoi, je comprends" ou "ravi de rendre service", si c'avait été autre chose qu'une peluche de zèbre, dont la seule erreur dans la vie avait été d'être fait en tissu de serviette-éponge. Luna eut un pincement au coeur en pensant qu'il faudrait probablement incinérer le pauvre Stripey après ce calvaire, et se dit que tout n'était pas perdu, après tout, il restait un suppositoire et elle connaissait désormais leur efficacité. Perdue dans ses pensées, elle ne fit pas attention et baissa un peu la croupe; l'un de ses têtons effleura l'oreille de Stripey et l'incendie dans son arrière-train redoubla de violence, lui arrachant un gémissement plaintif.

Dans l'immédiat, il lui fallait absolument trouver comment passer ces cinq heures plus rapidement; elle allait devenir folle, elle le sentait.

Luna, aux prises avec un suppositoire aphrodisiaque, n'arrive pas a contenir sa dévorante envie de relations passionnées et charnelles. Elle sacrifie toutes ses peluches en guise d'éponges et, désesperée, va voir Vladimir, le beau petit-petit-petit-etc-neveu de Celestia pour une partie de monoponey et plus si affinité. Elle se fait jeter hors de sa chambre
et décide donc d'aller voir Etincelle du Crepuscule dans sa librairie de VillePoney, la force a avaler le second lov<3 suppo et peu après, Celestia les interrompt en pleine activité. Elle découvre qu'Etincelle du Crepuscule a été droguée par Luna et l'engueule sans la moindre retenue, folle de rage, avec convocation a la salle du trône le lendemain.

Le lendemain, il faudrait voir sa soeur. Dissimulée dans l'obscurité par sa couleur naturelle, Luna montait tristement les escaliers qui menaient hors de la bibliothèque, essayant de faire le moins de bruit possible pour ne pas réveiller les soubrets et subir leurs quolibets, qui étaient bien l'apanage des représentants de la roture et de toute cette sempiternelle racaille. Le lendemain, il lui faudrait affronter les remarques de sa soeur, sous le regard attendri des gardes impériaux qui glousseraient sur son passage, et Luna n'en avait absolument, absolument pas envie. Il y aurait des remontrances, des leçons de morales dénuées de sens, et tout redeviendrais comme avant et les journées s'écouleraient à nouveau, plus mornes que jamais.

Luna atteignit les remparts, passa devant un étalon en armure qui surveillait l'horizon nocturne pour le protocole et qu'elle ne remarqua pas plus qu'un autre objet du décor, se mis en position et la douleur entre ses cuisses devint soulagement au fur et a mesure que sa vessie s'éparpillait dans l'abîme en une pluie de larmes argentées qui maculèrent le bas du mur et l'autre garde en poste à côté de la porte principale. La mélancolie des temps anciens avait saisi le coeur de la jument bleue, qui se remémorrait de flous souvenirs. À cette époque, les serviteurs restaient à leur place, c'est à dire derrière les portes et les murs réservés, et la nourriture apparaissaient naturellement sur la table, sans devoir négocier les marchandises de base auprès d'une sale pouliche grognon et non coopérative. Les salles étaient nettoyées automatiquement après le passage des occupants du chateau, la salle de bain était toujours libre et on pouvait faire des bulles sous l'eau sans que personne ne vienne casser une telle volupté par des histoires de bonne manière. Les Zèbres restaient devant les charrettes et dormaient dehors, et s'appelaient tous Rayés. En ce temps-là, les alicornes n'étaient pas respectées, mais craintes, et c'était très bien comme ça. En ce temps-là, lorsque venait l'heure de la nocturne et dernière offrande avant dodo au peuple, les sujets disaient "merci" et se recroquevillaient pieusement dans la poussière.

Mais surtout, Luna n'etait pas seule sur le rempart à ce moment là, à prodiguer toute ces largesses. Celestia était là aussi, et gagnait tout le temps au concours de la plus généreuse, à croire qu'elle se retenait toute la journée. Même torturée de douleur depuis des heures, même incapable de se retenir de gémir pendant la libération finale, Luna perdait souvent, et Celestia se moquait. Et puis, Luna fut envoyée sur la lune, et les temps changèrent.

La nuit etait fraîche et l'air doux. La lune, cette traîtresse qui s'était levée sans son ordre, jetait ses rayons sur les plaines, les collines, même la cime des montagnes aux brillant sommets couverts de neige éternelles. Luna ne savait pas ce qui pouvait se trouver derrière. En contrebas dormait VillePoney, lentement traversée par le ruisseau étincelant qui provenait d'une colline voisine. Toute les lumières étaient éteintes, sauf quelques unes, sûrement des poneys dissidents qui espéraient échapper au servage dans les champs. Luna secoua la tête pour rejeter cette idée, car les temps avaient changés, et les poneys encore éveillée devaient avoir leurs raisons.

Luna redescendit tristement du rempart, recroisant sans trop y faire attention le garde qui s'était ratatiné dans le fond de sa cabane pour essayer de dissimuler la gêne qui déformait puissament son entrejambe. Après quelque couloirs, elle regagna sa chambre, fut accueillie par une odeur épouvantable, referma la porte à toute vitesse et se précipita pour ouvrir la fenêtre.

Les montagnes. VillePoney. les lumières. Luna ne pouvait cesser de les regarder alors qu'elle jetait ses peluches souillées dans les douves à grands coups de sabots, les douves que les temps changeants avaient renommés "bassins d'agrément" et qui seraient victimes d'une drôle de pollution le lendemain. Une des lumière allumée était celle de la librairie. Étincelle du crépuscule. Cette immonde pouliche passait tout son temps dans ses livres, comme si une roturière comme elle avait le droit de les salir de son regard et d'en froisser les pages à grand coups de sabots, ou avec sa vile magie. Pourquoi n'allait elle pas dehors avec ses amies, elle qui semblait attirer la gentillesse et l'amitié? Pourquoi n'allait-elle pas se promener et rencontrer des gens?

La fenêtre etait ouverte, l'heure était bien avancée, Celestia était surement en train de dormir et puis, Luna avait bien l'habitude de sortir le soir. L'alicorne enjamba maladroitement le rebord de la fenêtre, se jeta dans le vide, ouvrit ses ailes et s'éloigna silencieusement du château. La meilleure manière d'avoir la réponse à une question était encore de demander.


Celestia était assise sur son trône, sentant une certaine irritation qui montait progressivement. Le jour etait levé depuis longtemps, et il n'y avait pas eu encore de plainte ou de scandale de la part des employés du chateau, ce qui voulait dire que Luna dormait encore. Elle avait pourtant été claire la veille, de sévères remontrances s'imposaient au vu de son comportement déplacé et possessif et si il y avait bien quelque chose qui n'avait jamais changé en mille ans, c'etait bien la rigidité d'un ordre royal.

- Chambellan! manda t'elle finalement d'une voix forte. Un beau et digne poney s'avança en trottinant d'une porte et fit une courte révérence sur le tapis de velour.

- Vous m'avez appelé, Majesté.

- Eh bien, Chambellan, point d'agitation? Point de désordre? Que fait ma soeur, s'est-elle enfin assagie? demanda la royale déesse du jour en savourant sa tournure de phrases.

- Elle n'est plus dans sa chambre, votre Luminosité.

- Eh bien, ou est-elle, et que fait t-elle? aboya la grande Celestia, perdant définitivement patience. Je lui avait dit de venir ici et maintenant! Qui sait où elle est?

- Votre Contraste, continua le pauvre poney en baissant peureusement la tête, elle n'est sûrement pas loin. Elle faisait des gribouillis en prenant l'air, quelque feuilles ont volé hors de la chambre, peut-etre est-elle allé chercher un taille-crayon?

- Des.. Dessins?

Le visage de Celestia se crispa. Ce n'etait pas un dessin. Lorsqu'on lui apporta la feuille froissée et piétinée pendant son séjour sur le sol, Celestia plissa les yeux et reconnut l'antique écriture royale d'Equestria, aux motifs si compliqués que seul les poneys de sang bleu pouvaient avoir le loisir d'apprendre, au prix de colossaux efforts. Des nuits passées à contempler les gens dormir, et peut-être une défaite régulière tous les soirs a quelque jeux puérils qu'elles avaient fait ensemble avaient rendu Luna championne de cette discipline, bien meilleure qu'elle à la pratique d'une écriture si compliquée que la plèbe ne pouvait pas la lire et c'était très bien comme ça.

"Tendre et douce soeur, reflet d'un soleil qui jamais ne s'éteint, notre lune naissant dans le silence du vide poursuit à jamais ces danses folles qui mènent à l'aube au crépuscule, glissant dans les infinis sillons séparant les étoiles et charriant tant de merveilles pour les êtres au coeurs épanoui"

Luna s'etait barrée sans demander son reste et avait piqué des fruits pour les manger sur la route. Celestia pulvérisa la feuille entre ses sabots et tout le monde sursauta dans la pièce, faisant comme si de rien n'etait.

La déesse du soleil retourna lourdement sur son trône, résignée à attendre. Après tout, cela lui donnerait le loisir d'imaginer toute les punitions humiliantes et sévères qu'elle jugerait nécessaire pour lorsque sa soeur reviendrait.

-Voici l'ordre du jour, votre Saturation, dit le messager qui s'etait timidement approché avec une pile de feuille sur le dos. Tout d'abord, les négociants en raison de Maison du Vin souhaitent exprimer leur désarroi concernant le protectionnisme sur les taxes d'importation pratiquée par la Ferme aux Pommes a propos des quotas nivellés des quantités de fruits concurrentiels..

Mènent à l'aube au crépuscule. Celestia comprit le sens réel de la phrase. Il n'y avait aucune poésie là-dedans.

- Gardes royaux, ouvrez! hurlèrent les gardes royaux envoyés à la librairie de VillePoney. La porte s'ouvrit sur un dragon violet minuscule qui avait certainement dû monter sur quelque livres pour atteindre la poignée, et qui s'enquit d'une telle visite à une heure si proche de midi. La réponse prit la forme d'un message finement écrit par la propriétaire des lieux.

"Chère princesse Celestia,

Aujourd'hui, je vais apprendre lors du pique-nique didactique avec princesse Luna votre soeur que le partage et la rencontre avec les autres sont de grandes valeurs de l'amitié magique.

Votre étudiante emplie de foi,

Etincelle du Crepuscule"

Celestia saccaga le message en fulminant. Toute l'hypocrisie du monde n'aurait pas pu cacher son envie de jeter quelqu'un par la fenêtre, et parfois, l'ancienne époque était vraiment regrettée. Mais les temps avaient changés, et les choses ne se passaient plus comme ça.

Luna avait changé.

Profitant de l'obscurité du ciel nocturne, Luna n'avait mis que quelques minutes pour atteindre VillePoney; la ville était vide, tous les poneys étaient rentrés chez eux, et ce fut au milieu d'une place entièrement déserte que la princesse de la nuit reprit contact avec le sol. Personne pour s'agenouiller devant son passage, personne pour seulement la regarder, et constater qu'elle existe; cela ne changeait pas de l'ordinaire, songea t-elle, en approchant de l'endroit où créchait habituellement la si précieuse protégée de sa soeur, la librairie locale.

D'un petit trot silencieux, elle s'approcha de la porte et s'apprêta à frapper, imaginant déja une manière amusante de faire son entrée. "On remet ça, sweetie?" et "Prête pour le deuxième round?" étaient ses préferées, et elle s'attelait à en choisir un tout en travaillant son expression la plus avenante, quand son oreille se dressa; c'était des sanglots. Etincelle du crepuscule... pleurait?

Luna renonça à entrer, et voleta silencieusement d'une fenêtre à l'autre; enfin, elle la trouva, au travers d'une fenêtre couverte de buée. Assise dans une bassine de fer-blanc, couverte de mousse, la tête entre les épaules et le dos rond, la pouliche violette reniflait et poussait de petits sanglots étouffés, alors qu'un dragon microscopique, probablement son esclave domestique, s'attelait à lui frotter le dos tout en essayant de la réconforter. Intriguée, Luna observa la scène quelques instants, et son coeur se brisa lorsqu'elle comprit en écoutant ce qu'ils se disaient que le coupable d'un tel bouleversement. Pourtant, elle ne songeait pas à mal! Se pût elle qu'elle aie été un monstre, sans s'en rendre compte?

Étincelle du crépuscule crut voir quelque chose bouger à l'extérieur, et tourna rapidement la tête; elle ne vit que la nuit. Leur visiteur nocturne avait déja disparu.

--

Tôt le lendemain matin, Luna s'était remise comme elle avait pu de cette soirée qui avait paru durer une éternité. la visite rendue au dealer, sa mésaventure avec ses "lov<3 suppo", suivie de ce qu'elle avait fait avec la précieuse étudiante de sa soeur, son engueulade avec celle-ci... Dans sa tête résonnait encore les mots crus, cinglants, qu'elle avait entendu de la bouche de cette licorne violette qu'elle convoitait tant. Luna était restée quelques instants dans son lit, perdue dans ses pensées. Était-elle vraiment une "s-s-salope!!", une "monstre!" et une "violeuse, Pointe, une VIOLEUSE"? Luna fit un hénissement à fendre le coeur en repensant aux horreurs qu'elle avait entendu. Elle songea qu'il lui faudrait aussi affronter sa soeur... La journée commençait vraiment très mal. Elle se mit debout, enfila son manteau et décida d'aller s'excuser auprès d'Étincelle du crépuscule; c'était la moindre des choses, après tout.

Sur le chemin, elle rédigea un mot à sa soeur, pour que celle-ci ne s'inquiétât pas trop de sa disparition, et en passant par les cuisines, elle fourra des pommes et des bananes dans ses poches; les nouvelles moeurs commencaient enfin à entrer, se dit-elle, après tout, il suffisait de se comporter comme pas une reine et de se considérer comme telle. Elle avait laissé ses pouvoirs de côté et arborait son pelage le plus occasionnel; les rares serviteurs qu'elle croisa ne lui prêtèrent aucune attention, pas plus qu'elle n'en prêta aux nombreuses peluches qui surnageaient dans les bassins d'agréments de l'entrée du palais comme autant de cadavres d'animaux noyés. La route s'apprêtait à être longue; Luna ne voulait pas se faire remarquer, et allait devoir faire le trajet à pied. Triste époque où les reines doivent se cacher et où les serviteurs ne respectent plus rien, soupira t-elle.

Au bout d'un temps interminable, les cuisses douloureuses et probablement puant la sueur, luna arriva au même endroit qu'hier soir, nettement plus peuplé et vivant que la veille. Quelques passants se retournaient sur son passage, la considéraient avec le même intérêt teinté de crainte et de mépris que n'importe quelle étrangère sous une cape, et s'en retournaient à leurs activités. Arrivée face à la porte de la librairie, Luna frappa du sabot sans préter garde à la pancarte [FERMÉ] qui pendait à un clou fiché dans le battant, espérant que la propriétaire des lieux soit là. Ce fut ce dragon qui lui ouvrit; en la reconnaissant, ses sourcils se fronçèrent instantanément.

"Qu'est-ce que vous faites là, vous?! " lui demanda t-il avec rudesse.

Face à la brutalité de la question, Luna perdit instantanément tous ses moyens. "Je... Est-ce que Étincelle du crépuscule est..."

"Vous voulez lui parler? Vous avez le culot de vous présenter devant elle après ce que vous avez fait? Est-ce que vous vous rendez compte que vous devez vraiment être la dernière personne qu'elle a envie de voir?" lui hurla t-il au visage.

"Mais... Je..."

"Et au cas où vous ne sauriez pas lire, ce qui n'est pas impossible d'après ce qu'on raconte sur vous, la librairie est fermée. 'FERMÉE', vous savez ce que ça veut dire? Du balai! Allez, ouste!"

Luna voulut répondre, mais la porte se claqua bruyemment sous son nez, la laissant seule sur le parvis.

Elle attendit quelques instants, espérant qu'il change d'avis, mais rien ne bougea. La princesse de la nuit poussa un soupir de désespoir, et s'éloigna à petits pas, la tête basse, désormais convaincue qu'elle devait être la créature la plus laissée-pour-compte de tout Equestria.

"Hé!"

Luna se retourna avec un petit cri de surprise. Le domestique de Étincelle du crépuscule avait réapparu et lui faisait signe de rappliquer.

"Elle dit qu'elle ne supporte pas de vous voir comme ça. Entrez, mais vous êtes prévenue, à la moindre incartade, vous..."

"Il n'y aura pas d'incartade, je... Je le jure!" haleta Luna en se précipitant vers la porte de la librairie, comme si celle-ci menaçait de se fermer pour toujours à chaque seconde.

Pointe s'écarta pour la laisser passer, et Luna finit sa course au milieu de la pièce ronde. Elle chercha la propriétaire des lieux, remplie d'espoir, espoir qui mourut aussitôt que ses yeux croisèrent ceux de la pouliche violette qui la tançait d'un regard glacial, depuis la hauteur du palier de la mezzanine où elle s'était réfugiée. Luna sentit aussitôt sa queue lui chatouiller l'intérieur des cuisses, et elle fit un pas instinctif en arrière.

Habillée d'un simple peignoir en mousseline bleue, Étincelle du Crépuscule était méconnaissable. Sa crinière était regroupée en un austère chignon, sa queue était truffée de bigoudis qui ne parvenaient pas à empécher quelques touffes de poils rebelles d'hérisser cette partie de son corps, et d'une manière générale, la pouliche paraissait avoir pris un demi-siècle.

"Alors? lui lança celle-ci. Qu'est-ce que vous avez à dire?"

Luna déglutit péniblement; elle ne s'était vraiment pas attendu à ça. "Je suis... navrée pour ce qu'il s'est passée. Je ne voulais pas vous faire du mal." murmura t-elle en fixant ses sabots.

"Navrée?" répéta Étincelle du crépuscule d'un air nimbé d'incompréhension. Elle sauta de la mezzanine et atterrit sur le sol avec fracas. "Vous m'avez droguée et vous êtes... Navrée?" poursuivit-elle en s'avançant d'un pas lourd vers son ancien agresseur, qui recula jusqu'a ce que son derrière rencontre une paroi. "Vous m'avez forcée à vous faire l'amour, on appelle cela du viol chez nous, et vous êtes 'navrée'?"

Luna ne put reculer davantage; elle se plaqua contre le mur, pas assez cependant pour que sa victime ne puisse pas lui hurler à la figure: "J'AI DÛ PASSER LA NUIT ASSISE DANS UNE BASSINE D'EAU FROIDE A CAUSE DE LA COCHONNERIE QUE VOUS M'AVEZ FAIT AVALER DE FORCE ET VOUS ÊTES... NAVRÉE?!"

Luna acquiesca d'un signe de tête, terrifiée.

"Pourquoi vous avez fait ça, aboya Étincelle du Crépuscule, hors d'elle-même. RÉPONDEZ!"

"P-parce que ma soeur ne fait pas attention à moi, et je pensais que..."

Étincelle du crépuscule ouvrit des yeux ronds. "C'était juste pour casser les pieds à Princesse Celestia?"

Luna ne répondit pas et se recroquevilla sur elle-même, prête à subir un nouveau déchaînement de haine qui ne tarda d'ailleurs pas à lui tomber dessus.

"Alors ça c'est la meilleure! vociféra la pouliche violette, qui avait perdu tout respect pour le rang de la figure à laquelle elle s'adressait. Vous m'avez fait des attouchements comme une espèce de... taquinade adressée à votre soeur? Non mais vous venez d'où pour vous comporter comme ça?! Ah oui, j'avais oublié: du moyen-âge. Ce devait être une période follement passionnante, alors si la nôtre ne vous plait pas, retournez-y! Vous ne cessez de casser les pieds à tout le château, vous n'avez aucune réputation, il n'y a pas un poney là-bas qui ne soit au courant de vos frasque, et vous savez quoi..."

Étincelle du crépuscule lui saisit le menton et tira sa tête vers elle, l'obligeant à la regarder dans les yeux.

"...Même votre soeur ne peut plus vous supporter."

Luna cligna des yeux deux fois; sa respiration devint haletante, puis gémissante, et elle éclata finalement en sanglots, se laissant glisser sur le sol; on eût dit des cris de douleur.

Pointe et sa maîtresse regardaient le pitoyable spectacle de haut. "Quelle pathétique créature, tu ne trouves pas, Pointe?" demanda Étincelle du crépuscule sur un ton méprisant.

"Je refuse d'être mêlé à ça." laissa tomber celui-ci à sa grande surprise, avant de s'éloigner et de reprendre son serpillage du sol là où il l'avait laissé.

"Ca suffit, Princesse. Debout! Vous n'avez donc aucun honneur?" poursuivit Étincelle du crépuscule, bien décidée à pousser l'humiliation jusqu'au bout.

Mais les vagissements déchirants ne s'arrêtaient pas; la licorne violette fut piquée au vif. "Vous m'entendez, Princesse? Debout! Faites ce que je vous dit!" ordonna t-elle en appuyant ses propos d'un coup de sabot bien senti dans les côtes de la cible de ses reproches.

Roulée sur le sol en position foetale, Luna n'avait pas d'oreilles pour elle; elle pleurait sans pouvoir s'arrêter, respirant avec peine entre deux plaintes sonores, l'oeil fou; elle tremblait et semblait saisie de fièvre; le spectacle devenait insoutenable.

"Non mais c'est bon, vous... Vous pouvez vous arrêter de pleurer, maintenant." hasarda Étincelle du crépuscule, sur un ton presque implorant.

"Cherche pas, Étincelle, affirma Pointe qui était revenue auprès d'elle. C'est pas ton engueulade qui la fait pleurer. Elle devait avoir un sacré paquet de bonnes raisons de faire une crise de nerfs."

Pointe posa un mug de tisane fumante devant la princesse de la nuit. "Merci." murmura celle-ci d'une voix rauque, presque inaudible. Assise sur un tabouret, le dos rond, les yeux rouges, elle paraissait à bout de forces, et contemplait la surface du liquide fumant sans parvenir à prendre de décision. Un silence de plomb s'abattit sur la pièce; Étincelle du crépuscule regardait les mille ans et quelques semaines d'afflictions en tout genre qui regardaient la vapeur du thé s'élever comme si cela eût pu durer des heures, et le jeune dragon regardait les deux pouliches l'une après l'autre, une théière à la main, appréhendant la suite.

"Alors comme ça, vous avez fait le trajet uniquement pour vous excuser? entama Étincelle du crépuscule, rompant ainsi brutalement le silence et les faisant presque tous sursauter. Au moins, vous avez fait la démarche. On s'attendrait plutôt à ce qu'ils se cachent en espérant que l'affaire s'étouffe d'elle-même."

"Pour quitter le palais, aussi. répondit Luna. Je n'en peux plus de passer mon temps là-bas. Et c'était aussi pour..."

Elle baissa la tête.

"Pour?" releva la pouliche violette.

"... Voir du monde."

La chape invisible retomba de nouveau sur eux, et chacun regarda le fond de sa tasse; Pointe alla refaire le plein, alors même que la théière qu'il tenait était pratiquement pleine. Tous prirent conscience du cruel manque d'affection dont souffrait clairement la jument de la nuit, qu'une quête désesperée de rapports avec les autres avait poussée à aller voir en personne la victime de sa dernière bétise, et personne ne trouva quoi dire sur le moment. Une fois de plus, ce fut Étincelle du crépuscule qui pulvérisa le silence.

"Vous pourriez m'emmener à Nombreux-Galops?"

Luna releva la tête. "Comment?" demanda t-elle avec des yeux ronds, pas sûre d'avoir compris.

"J'ai une pile de livres qui m'attend là-bas. Je devais aller les chercher aujourd'hui et à cause de vous, je n'avais même pas envie de prendre un taxi pour m'y rendre. Vous me devez ça, Princesse." répéta Étincelle du Crépuscule en la défiant du regard.

Luna la fixa pendant de très longues secondes, peinant à assimiler la demande. On lui demandait de servir... de monture?

"... D'accord, répondit-elle en hochant la tête. On part quand vous le désirez."

Dix minutes après, les deux juments avaient pris le chemin des cieux en direction de la capitale d'Equestria; le trajet allait être long, pénible et douloureux, mais rien qui ne puisse entamer la bonne volonté inattendue dont avait alors fait preuve Luna. Elles avaient laissé un mot à l'attention de Pointe, rédigé avec force gloussements et claques sur l'épaule, et s'apprêtaient à passer la journée à Nombreux-Galops, comme deux copines de longue date; mais derrière un enthousiasme débordant se cachait l'étanchement d'une soif insupportable qui les dévorait toutes les deux, qui avait déja fait basculer Luna dans la folie voici des temps immémoriaux.

--

"Votre magesté, devons-nous lançer une battue pour..."

"Inutile, les coupa la déesse du jour. Laissez-la revenir, la connaissant..." elle leva les yeux, mûe par l'exaspération. "... Elle sera de retour à l'heure du goûter. Nous avons d'autres choses plus importante à faire; laissez-moi seule, ne me dérangez que pour des choses vraiment importantes."

Les deux gardes royaux qui lui avaient apporté le message de la librairie s'inclinèrent, et obtempérèrent; Celestia regagna le bureau royal et ferma la porte derrière elle, prête à affronter une réalité qu'elle avait de plus en plus de mal à gérer.

Émeutes, pillages... Son peuple était au bord de l'explosion. Princesse Celestia réunit les différents rapports d'activité qui lui étaient parvenus des quatres coins de la contrée, les enferma dans un dossier qui portait simplement la mention "Sid'hennit", et alla le ranger dans une étagère à proximité; elle ne put s'empécher de croiser du regard le label d'un autre dossier plus ancien qu'elle avait aussi eu à gérer dans le temps, et fit la grimace en le voyant. "Vallée des Nuages, fabrique de climat, département 'Arcs-en-ciels'"; Celestia espérait ne plus jamais avoir à le rouvrir. Seule, à l'abri des regards, la jument blanche avait tout le loisir de réfléchir, ou de se morfondre; elle ouvrit un cabinet et en sortit une bouteille de cidre qu'elle posa à côté d'elle, s'en servit un verre, et le dégusta sans vraiment le sentir, perdue dans ses pensées.

Parce qu'elle était seule, Celestia avait développé une politique basée sur le partage des responsabilités, et s'était mis à déporter une partie de son pouvoir sur le peuple. Sur une centaine d'entreprises dont la gestion s'était vue confiée à ses sujets, une bonne moitié allait perdurer, et s'épanouir d'elle-même comme une fleur au printemps. Presque tout ce qui restait allait échouer, et finir par disparaître; ce sont des choses qui arrivent, après tout, c'est l'ordre naturel des choses. Ce qui était nettement moins naturel, c'était les quelques cas qui restaient. Celestia prit une longue gorgée qui lui astiqua l'oesophage et reposa bruyemment le verre sur le bureau. Sur une centaine d'entreprises confiées à son peuple, zéro, virgule zéro zéro une d'entre elles allait se changer en camp de la mort.

Pourquoi? se demanda Celestia. Était-ce son peuple qui était mauvais dans l'âme? Était-ce naturel que de telles tumeurs cancéreuses grandissent au sein de ses sujets, à l'insu de tous, et explosent brutalement en plongeant tout le pays dans le chaos? Était-elle mauvaise, elle? La reine d'Equestria remplit son verre et pensa à Luna; il lui arrivait fréquemment d'en dire du mal, mais à chaque fois, elle avait aussitôt honte d'elle-même. Luna était sa seule famille; son neveu hautain et méprisant ne comptait pas vraiment, et inutile de parler de cette obscure nièce dont personne n'avait jamais entendu parler. Pendant un millénaire, elle s'était retrouvée seule, et sa soeur lui avait manqué plus que tout au monde. Mais la joie des retrouvailles s'était rapidement retrouvée étouffée par les événements qui s'étaient abattus sur le royaume, et Luna avait ses problèmes, elle aussi; elle avait besoin que sa soeur lui accorde du temps et de la patience, et les deux étaient devenus des ressources rares pour la reine d'Equestria.

Celestia porta de nouveau le verre à ses lèvres. Le développement de Luna se freinait quand elle devenait la créature diabolique qu'elle avait été pendant les siècles qu'avait duré son séjour sur la lune, ce qui expliquait son aspect juvénile; pour le reste, elle vivait et se comportait exactement comme il y a mille ans, ce qui était normal aussi; elle n'aurait pas pu deviner les changements qu'avait connu la société pendant son absence. Sa soeur la renvoyait malgré elle à une image périmée de sa personne, à la pouliche royale qu'elle avait aussi été en ce temps-là, une image dont elle n'était pas forcément fière; Celestia avait énormément de mal à garder son calme face à elle.

Devant la déesse du soleil s'étalait les rapports d'une maladie qui faisait suffoquer tout Equestria, et pour laquelle il n'existait aucun remède suffisament efficace. Elle avait autorisé l'exploitation de la canne à sucre en plein désert, elle avait mis à leur disposition tous les moyens dont ils avaient besoin pour mener à bien cette entreprise qui allait faciliter la vie de tout le royaume, elle était même montrée dans ce monstrueux train blindé, le véhicule le plus grand et le plus rapide jamais construit, pour inaugurer ce qui allait devenir la source principale de sucre d'Equestria, mettre un terme à leur dépendance à Zebraïca, et permettre à tous d'accéder aux plaisirs de la bouche. Elle y avait cru... Et avait relaché sa surveillance. Cinquante ans plus tard, le moteur qui tournait désormais à la sueur et au sang de ses propres sujets s'était cassé, plongeant une partie de l'économie et tout le royaume dans le chaos. Aucun remède efficace. Celestia finit son verre.

Sa soeur devait souvent payer pour ça. Il n'était pas rare que Celestia lui fasse partager sa mauvaise humeur, son stress et même ses accès de colère, qui la faisaient exploser quand tout allait encore plus mal que d'habitude. La jument divine refit le plein. Luna n'était encore une pouliche; elle n'avait pas à payer pour le cancer qui rongeait Equestria, et ne concernait qu'elle. Celestia se sentit odieuse. En collant le verre à ses lèvres, elle se promit d'essayer d'améliorer la situation, et de trouver du temps à consacrer à cette soeur envers laquelle elle avait ressenti un manque déchirant pendant tant d'années.

Et ce cidre était vraiment délicieux, songea t-elle.

--

La fin de la journée approchait, et Luna et Étincelle du crépuscule avaient fini par revenir; elles avaient passé comme prévu une journée inoubliable à Nombreux-Galops, et s'étaient retrouvées au même endroit qu'en début de journée pour une autre tasse de thé; l'une comme l'autre semblait avoir complètement oublié cette histoire d'attouchements non-consentis.

"Je vais rentrer, il se fait tard... Ma soeur va s'inquiéter, elle va sûrement me gronder encore plus si je rentre après le coucher du soleil." dit Luna en baissant le regard.

"Mais c'est votre soeur, non? Je croyais avoir qu'une petite soeur était un véritable cadeau, qu'il convient de chérir et d'aimer plus que tout au monde, pourquoi elle fait ça?" répondit la pouliche violette.

Luna aspira une gorgée de thé brûlant. "Je ne sais pas, elle paraît si occupée, ces temps-ci... Peut-être qu'elle ne veut plus de moi? Qu'elle me considère comme un fardeau supplémentaire?"

Étincelle du crépuscule reposa son mug avec violence; les deux autre occupants de la pièce sursautèrent et portèrent leur attention sur elle.

"C'est votre SOEUR, Princesse. Aussi occupée qu'elle soit, elle n'a pas à vous négliger de la sorte. La situation ne peut plus durer, vous vous faites du mal à l'une comme l'autre. Vous devriez absolument avoir une longue discussion avec elle. Lui parler de ce qu'il se passe avec elle, et le personnel du palais. Vous m'avez bien comprise?"

Luna hocha le menton pour dire oui, une fois de plus effarée par l'autorité dont la licorne violette était capable de faire preuve.

Quelques minutes après, les deux licornes se disaient au revoir, sur le parvis de la librairie; chacune serrant l'autre dans ses bras, elles espéraient remettre ça le plus vite possible.

"Au revoir, Princesse. Merci pour cette journée fantastique."

"Merci de m'avoir accordé une seconde chance, Étincelle du crépuscule."

Puis Luna s'envola vers le palais, le coeur gonflé de bonheur et de détermination.

--

Luna arriva en trottinant dans la salle à manger royale, le voyage l'ayant quelque peu affamée; à sa grande surprise, sa soeur était là, assise sur l'un des tabourets d'une des immenses tables, et semblait l'attendre.

"Soeurette, s'écria Luna, aujourd'hui, j'ai-"

"Je t'avais demandé de venir me voir ce matin, Luna."

le ton glaçé avec lequel sa soeur lui répondit la coupa instantanément dans son élan; elle s'arrêta au milieu de l'allée, un sabot levé. "Je sais, mais..."

"Où t'était donc passée? poursuivit Celestia d'une voix graveleuse. Tout le palais te *hic!* te cherchait, espèce de petite souillure!"

Sa soeur s'avança avec elle en trébuchant sur les tabourets; elle en saisit un à l'aide de sa magie et le leva, prête à corriger sa soeur d'un bon traumatisme crânien.

Pétrifiée par une subite terreur, Luna était incapable de faire le moindre mouvement.