- Chakagan a écrit:
- Bro-Nie, et tu me demandes si c'est assez déchirant et tragique ? Pas du tout, tu ne ressens aucune détresse.
Tu me déçois, padawan.
Chaka pls.
Celestia est témoin de sa famille qui se fait massacrer par son mec, et sa propre vie est menacée. A ton avis, elle se roule en boule sur le sol pour pleurer, ou elle s'efforce de répondre à son instinct de survie, et de sauver la vie de sa soeur dans la foulée ?
Je vois ça comme les mecs qui perdent leur bras à la guerre : le corps sait bien que s'il envoie la douleur, la survie ne sera pas assurée, et c'est la mort à coup sûr.
Celestia a largement le temps de craquer crois moi.
Partie cinq : Propagation des flammesDe l'extrémité de son sabot, celle que toute la Noble République de l'Elysium ne connaissait plus que sous le nom, et titre, d'Alma Mater, caressa le joyau inerte. Lui qui avait été autrefois débordant de magie, comme les autres Éléments, il était désormais vide.
Pourtant, si elle fermait les yeux, si elle se concentrait, l'Alma Mater pouvait encore sentir l'extraordinaire puissance de l’Élément. Ce n'était que du vide, mais un vide vertigineux, qui laissait clairement entrevoir de quoi l'artefact était capable, au faite de sa puissance. L'Alma Mater l'avait vu, sept ans auparavant, ce que pouvaient faire les Six. Et comme toutes les alicornes de l'Elysium, elle avait alors espéré que plus jamais, ils n'aient à s'en resservir.
De toute façon, même s'ils l'avaient voulu, ils auraient été incapables de déchaîner à nouveau le pouvoir de l'Harmonie. Pour cela, il aurait fallu les Six. Et des Éléments, l'Elysium en avait perdu deux.
Un seul en fait, très techniquement, mais l’Élément de la Magie, qui ne pouvait apparaître que quand les Six étaient ensemble, s'était volatilisé au moment où ils avaient perdu l’Élément de la Loyauté.
Depuis, les alicornes ne possédaient plus que quatre Éléments, ombres d'eux-mêmes, qui s'étaient affaiblis avec le temps. La dernière parcelle de magie s'était envolée de l'ultime joyau encore actif, il y a deux semaines. Et l'Alma Mater connaissait trop bien les Éléments pour savoir que ce n'était pas l'usure du temps, qui avait causé cette extinction, mais une utilisation délibérée. Désespérée aussi, parce que personne n'aurait fait appel à son pouvoir sans raison.
Le pouvoir des Éléments était illimité, l'Alma Mater le savait. Mais pour cela, ils devaient être réunis. Ils devaient être Six.
Celui ou celle qui avait épuisé les ressources des Éléments, n'avait eu le soutien que de quatre Éléments. Et encore, un seul, serait déjà plus juste. Un Élément moribond, l'ombre de lui-même.
Quand la minuscule lueur au fond du joyau s'était éteinte, l'Alma Mater avait su qu'un de ses neveux, ou une de ses nièces, était tombé pour ne plus se relever.
L'Elysium perdait un Enfant de plus. La race des alicornes s'affaiblissait encore.
L'Alma Mater laissa échapper un sourire triste. Et dire qu'autrefois, les corridors de la Cité de Cristal répercutaient par dizaines, les rires et les paroles des alicornes. Désormais, c'était le silence qui se répercutait en écho sous les hautes voutes de l'Elysium. Un silence qui n'aurait pas déplu à Alkhali d'ailleurs.
Penser au draconequus fit remonter des souvenirs amers dans l'esprit de l'Alma Mater. Les esprits du chaos n'avaient pas marqué les survivants que dans leur chair, mais aussi dans leur âme. En tant que première responsable de l'Elysium, c'était le devoir de l'Alma Mater de montrer l'exemple, de serrer les dents, et de tirer un trait sur le passé.
Mais la page pouvait se montrer des plus lourdes à tourner quand des milliers de cadavres reposaient dessus.
En un sens, l'Alma Mater n'en avait jamais voulu à celles et ceux qui avaient quitté la Cité de Cristal après les évènements. Tous avaient perdu quelqu'un au cours de la Semaine Sanglante.
Un parent, un époux, un enfant...et le pire, c'était que tous les survivants avaient gagné quelque chose en retour.
L'âcre crachat de la vérité, en plein dans le museau : la réalité qui hurlait aux oreilles de tous qu'en six jours, une société éduquée, cultivée, et infiniment respectable, avait pu sombrer dans les ténèbres les plus infinies. Tout ça parce que personne se s'était dressé avant qu'il ne soit trop tard. Personne pour enrayer la machine.
Des siècles, et des siècles d'Histoire et de développement, ruinés par six jours de dictature.
Ca donnait le vertige quand on y repensait.
En un sens, l'Alma Mater se disait que les Elements étaient une bonne métaphore de l'état de l'Elysium lui-même. Autrefois si grand, et si puissant, désormais, à peine l'ombre de lui-même.
L'âge d'or était passé. Ils vivaient désormais le temps du crépuscule, et s'ils avaient échappé aux ténèbres sept ans auparavant, l'Elysium avait été blessé mortellement. La Cité de Cristal se mourait. A chaque alicorne qui poussait son dernier soupir, la noble république répondait par un sanglot.
Et l'Alma Mater savait qu'ils n'avaient guère plus de larmes à verser.
_Tante Alma ?
A ces mots, l'Alma Mater sourit. En théorie, on ne devait s'adresser à elle qu'en disant « Mère », tout comme elle-même ne devait répondre qu'à ses « Enfants ». Mais elle était une alicorne avant tout, et des siècles d'habitude ne s'effaçaient pas comme cela.
_Oui ma nièce ?
L'alicorne qui venait d'entrer dans la salle était plus petite que l'Alma Mater, plus claire aussi. Alors que la robe de l'Alma Mater était lie de vin, celle de son interlocutrice évoquait la menthe bleue. Leurs crinières aussi, étaient diamétralement opposées, violet pour la plus âgée, et vert sombre, pour la plus jeune. Et bien sûr, là où cette dernière était nue, l'Alma Mater portait les attributs de sa charge, soit une toge blanche à la bande pourpre.
_Tes cousines se sont réveillées, c'est cela ? demanda l'Alma Mater.
_La plus jeune seulement. L'ainée aussi mais par à-coups, comme depuis le début. Elle crie dans son sommeil, se réveille, et se rendort juste après. Je crois qu'elle fait des cauchemars.
L'Alma Mater hocha silencieusement la tête, sa manière à elle de réfléchir.
_Je vais voir si la cadette peut nous dire ce qu'elles font ici alors. Pendant ce temps là, veillez votre cousine, entendu ?
_C'est compris, tante Alma.
D'un petit signe du museau, l'Alma Mater fit signe à sa nièce qu'elle pouvait se retirer. La jeune alicorne fit une rapide révérence, et s'en alla. L'Alma Mater reporta son regard quelques secondes sur l’Élément déchargé, le caressa du sabot une dernière fois, souffla par les naseaux, et quitta la pièce à son tour.
Le bruit de ses sabots qui résonnaient dans les immenses couloirs que l'Alma Mater traversait, donnait l'impression à l'alicorne d'être dans un édifice religieux. Ce n'était pas entièrement faux en ce qui la concernait, après tout, en tant qu'Alma Mater, elle était la figure spirituelle sur laquelle s'appuyaient la plupart des élysiuméens, mais en tout et pour tout, elle ne restait qu'une alicorne. Oui, elle était plus âgée que les autres, oui, elle avait une certaine forme d'autorité sur eux, mais cela s'arrêtait là.
C'était plus dur pour elle encore, car elle, elle n'avait personne sur qui se reposer. Le conseil des Six avait été dissous dans le sang, sept ans auparavant, et c'était à elle que revenait depuis, la lourde tâche d'administrer la Cité de Cristal. Enfin, s'il y avait encore quelque chose à administrer.
L'Alma Mater se gifla mentalement pour cette pensée. Bien sûr qu'il y avait encore quelque chose à administrer. Le simple fait que des alicornes vivaient encore, prouvait bien que l'Elysium n'était pas mort. Et que deux d'entre elles se soient présentées à la Cité de Cristal, était le signe le plus probant que la noble république n'était pas condamnée au néant. Pas encore du moins.
L'Alma Mater descendit un long escalier en colimaçon, et sortit de la Tour des Elements. S'engageant sur la grande passerelle qui reliait le bâtiment avec le reste de la Cité, l'Alma Mater prit quelques secondes pour regarder autour d'elle. Les nuages étaient bas ce matin, et entouraient l'Elysium de leur cocon protecteur. On distinguait le soleil, mais on ne le voyait pas. Tout juste une lueur jaune derrière d'épais voiles blancs. L'Alma Mater se demanda s'ils ne devraient pas dégager un peu le ciel ces prochains jours. Elle avait envie de voir l'horizon. Et elle était à peu près sûre que ses neveux et nièces eux aussi, ne seraient pas contre un peu de panorama.
L'alicorne reprit sa route, après avoir rejeté un des pans de sa toge sur son épaule. Fichue tenue, elle n'arrêtait pas de glisser. Elle devrait peut-être se forcer à porter une broche, en dépit de son rejet presque maladif des bijoux. Même avant qu'elle ne devienne Alma Mater, elle avait toujours déprécié les objets qui mettaient en valeur. C'était une alicorne simple, et le fait d’accéder aux plus hautes fonctions depuis sept ans, n'avait rien changé à l'affaire. Déjà qu'elle ne portait la toge que par respect envers celles qui l'avaient précédées à ce poste...si elle s'était écoutée, vraiment écoutée, elle aurait roulé la tenue en boule quelque part dans sa chambre, et l'aurait laissée pourrir là.
Ses pas conduisirent l'Alma Mater à une pièce centrale, qui s'ouvrait sur un entrelacs de corridors. L'alicorne prit la direction de la zone résidentielle.
Au fur et à mesure qu'elle progressait dans les couloirs, les murs prenaient une teinte verte. C'était une des grandes particularités de l'Elysium : si de l'extérieur, on ne voyait de la ville, que des bâtiments de verre et de cristal, et donc, transparents, l'intérieur de la cité avait été remarquablement bien pensé. Les cristaux qui composaient la majeure partie de la ville, lui donnant d'ailleurs son surnom de Cité de Cristal, avaient tous été traités pour qu'ils ne décomposent la lumière que d'une certaine façon. Ainsi, une zone de l'Elysium se teintait de rouge sous l'effet du soleil, tandis qu'une autre, prendrait une couleur orange.
Toutes les alicornes avaient appris à aimer ces déclinaisons de couleur. Sauf le jaune. Le jaune était trop attaché aux Événements. Ce n'était pas la faute de cette pauvre couleur, qui n'avait rien demandé à personne d'ailleurs, mais les faits étaient là. Plus personne ne vivait dans les quartiers jaunes. Trop de mauvais souvenirs y étaient liés. Les fantômes des milliers de morts hantaient leurs salles de verre et de cristal.
La zone résidentielle consistait en une grande aile de l'Elysium, qui n'abritait non pas des maisons, mais une multitude d'appartements individuels. Les plus grands étaient destinés à accueillir des familles entières, tandis que d'autres, plus modestes, suffisaient largement pour une alicorne seule.
Presque toutes les alicornes vivaient dans cette partie de la cité, à quelques exceptions près, comme l'Alma Mater elle-même, qui avait ses appartements dans une dépendance de la Tour des Elements.
Il y avait au moins un avantage évident au dépeuplement de la Cité de Cristal : les alicornes avaient largement eu la place pour recueillir leurs deux invitées.
Ce qui avait surpris l'Alma Mater, ainsi que ses neveux et nièces, c'était la jeunesse de leurs hôtes. A vue de museau, l'Alma Mater ne donnait pas plus de vingt ans à la plus âgée, et guère plus de dix pour la plus jeune. Pour la race des alicornes, capable de vivre en pleine santé durant des milliers d'années, c'était encore d'autant plus jeune.
L'Alma Mater stoppa devant une des portes, gardée par une alicorne mâle à la robe miel, et à la crinière charbon. Un anneau, glissé dans ses cheveux, faisait chuter une de ses mèches, juste devant le côté droit de son visage, tandis que le reste de sa crinière, était aussi évanescente que celle des autres alicornes. L'Alma Mater savait qu'il ne portait pas cet anneau par volonté de se distinguer, mais simplement parce que tout ce qui se trouvait à droite de son museau, n'était plus qu'un amas de chairs brûlées, et cicatrisées. Souvenir des Événements d'il y a sept ans.
_Tante Alma, salua t-il en baissant respectueusement la tête.
_Bonjour Japet, répondit-elle avec un sourire. Erèbe m'a dit que la plus jeune était réveillée ?
_Depuis une heure ou deux. J'ai pris la liberté de lui faire apporter à manger.
_Tu as bien fait, lui dit l'Alma Mater en franchissant la porte de verre.
La chambre dans laquelle ils avaient installé la petite alicorne, ressemblait à la pièce lambda de la zone résidentielle : une excavation oblongue, taillée dans du cristal opaque, avec un lit confortable, un bureau, et quelques coussins pour s'allonger.
Leur hôte était assise tout au début du lit, les fesses posées sur l'oreiller, les couvertures en désordre. Un plateau-repas composé d'un bol de flocons d'avoine, et de quelques fruits, avait été déposé à ses sabots, mais la petite alicorne ne semblait pas y avoir touché.
_Tu n'as pas faim ? demanda l'Alma Mater en s'approchant doucement du lit.
_Non, répondit la pouliche.
Aussitôt, un grognement sourd se fit entendre, qui venait des tréfonds de son estomac. Elle plaqua ses petits sabots sur son ventre, sûrement dans le but d’étouffer le bruit. Le grondement dura bien dix longues secondes complètes. Ce laps de temps passé, la jeune alicorne s'adressa à nouveau à l'Alma Mater.
_P'tet un peu. Mais maman nous a dit de ne jamais accepter du manger des inconnus.
_Ta mère a tout à fait raison, dit l'Alma Mater en s'approchant à petits pas du lits, pour ne pas effrayer l'enfant. Mais si ça peut te rassurer, regarde...
L'alicorne baissa le museau vers le bol de flocons d'avoine, et en prit une petite bouchée. Elle mâcha lentement, et avala. Elle releva la tête vers son hôte, lui sourit pour lui montrer que tout allait bien, et poursuivit sa démonstration en avalant une framboise.
Elle se recula ensuite d'un pas.
La petite alicorne regarda le contenu du plateau-repas avec circonspection, et le renifla plusieurs fois. Puis la faim l'emporta sur la méfiance, et elle se jeta sur les flocons d'avoine.
L'Alma Mater la regarda faire en réprimant un gloussement de rire. C'était comique de voir à quel point cette petite avait un solide appétit, en dépit de sa taille.
_Comment est-ce que tu t'appelles ?
_Comment est-ce que tu t'appelles, toi ? lui répliqua la petite alicorne, la bouche pleine de flocons d'avoine, en en projetant sur le lit.
Nouveau sourire de la part de l'Alma Mater.
_Tu peux m'appeler tante Alma si tu veux.
_T'es notre tatie ? demanda la pouliche avec des yeux ronds.
_Pour faire simple oui, dit l'alicorne, qui n'avait pas spécialement envie d'expliquer à une enfant, les tenants et les aboutissants de son titre.
_C'est vrai que t'as des ailes et une corne. Comme maman, papa, Tia, ou nous.
_Qui est Tia ?
La petite alicorne la regarda avec de grands yeux.
_C'est juste genre la meilleure grande sœur au monde de l'univers ! s'exclama t-elle, écartant les pattes en signe d'évidence, envoyant valdinguer le bol de céréales sur le lit.
_J'en suis sûre, répondit une Alma Mater toute sourire, qui rattrapa in extremis le bol de sa magie, et le reposa doucement, sur le plateau-repas.
Nullement dérangée par l'incident, la jeune pouliche repartit à l'assaut de plus belle.
_Tu ne m'as toujours pas dit ton nom, fit remarquer aimablement l'Alma Mater.
_Luna, répondit l'enfant entre deux bouchées de flocons d'avoine.
L'Alma Mater fronça les sourcils. Le nom lui semblait familier. Mais c'était peut-être juste une impression.
_D'accord Luna, dit l'alicorne adulte en s'approchant de la petite pouliche. Et si tu me disais comment tu t'es retrouvée ici, hein ?
Luna releva la tête pour répondre, des miettes de céréales, collées sur son museau.
_Bah euuuuuh, on était tous dans le grand jardin avec les poneys en robe, et tout le monde, il était bien habillé, parce que c'était le mariage de Tia, et même qu'elle se mariait avec un zèbre, et que comme ça, elle allait gagner plein de quartiers mademoiselle Lavande elle m'a dit.
L'enfant stoppa net sa phrase, et plissa les yeux. Visiblement quelque chose qu'elle venait de dire l'avait marqué.
_Mais je comprends pas comment Tia elle peut gagner des quartiers, parce que je la bats toujours au monopony.
Luna agita son petit sabot dans le vent, sûrement pour dissiper physiquement sa réflexion.
_Bon, et puis on était tous là, et là, y a une dame qui est arrivée, et elle a dit que c'était elle la reine des licornes, alors nous on a dit, non, c'est pas toi, c'est maman la reine des licornes, et que Tia et nous, on est des princesses, et que à cause de ça, ben on doit suivre une étiquette, et c'est dur des fois, mais faut le faire elle nous a dit mademoiselle Lavande.
Les choses commençaient à s'embrouiller dans l'esprit de l'Alma Mater. Tout se faire expliquer par une pouliche de sept ou huit ans, n'aidait pas à la clarification des faits.
_Et après, y a Discord qu'est venu et...
_Discord ? C'est quelqu'un de ta famille ?
Luna regarda à droite et à gauche, visiblement soucieuse que personne ne soit à proximité. Pour la forme, elle regarda aussi au dessus, et au dessous d'elle. D'un geste du sabot, elle fit signe à l'Alma Mater de se rapprocher.
_On te le dit seulement si tu jures de pas le répéter, murmura l'alicorne à l'oreille de l'Alma Mater.
_Je te le promets, assura la jument lie-de-vin.
Luna fit la moue.
_Dans le vent ça compte pas. Jure sur ça ! dit-elle en lui mettant une framboise du plateau repas dans le sabot.
_Tu veux que je jure...sur un fruit ? demanda l'Alma Mater, interloquée.
D'après le regard que lui jeta l'enfant, l'Alma Mater comprit que Luna prenait l'affaire très au sérieux.
_Je te promets de ne rien dire, jura l'alicorne.
_Mange la framboise, lui demanda Luna.
L'Alma Mater eut un haussement d'épaules de pensée, et engloutit le fruit. La petite alicorne violette parut se détendre.
_Bon, ok, on te le dit. Discord, c'est l'amoureux de Tia.
_Celui avec qui elle se mariait ?
_Non, non, répondit Luna en secouant la tête, son vrai amoureux ! Y se faisaient des bisous et tout.
La petite pouliche déglutit, comme si ce qu'elle s’apprêtait à révéler était particulièrement difficile à avouer.
_Et même des vrais de vrais, sur la bouche, des fois. T'imagines ? Embrasser un garçon ? Beurk !
Luna ferma les yeux, grimaça, et tira la langue pour souligner son dégoût. L'Alma Mater s'autorisa une prédiction comme quoi, dans une dizaine d'années, l'adolescente que serait Luna, ne trouverait plus ça si écœurant.
_Mais c'est un secret. Tu le répètes pas, hein ? Même Tia elle sait pas qu'on sait.
_J'ai juré non ?
_Ouais ben t'as mangé la framboise de la vérité. Alors, si tu as menti d'abord, ben y a un arbre y va te pousser dans le ventre, et après, tu seras toute malade. Et ça sera bien fait, parce que t'auras été une menteuse !
L'Alma Mater se demanda sérieusement si la petite alicorne croyait à son histoire de « framboise de la vérité ». Mais à en juger par l’assurance avec laquelle Luna venait d'asséner sa dernière phrase, c'était le cas.
_Et donc, qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? questionna l'alicorne à la crinière violette, soucieuse de comprendre un minimum.
_Bah on a pas tout compris. Discord, il a pointé sa patte sur un zèbre en habit rigolo, puis le zèbre, il est tombé tout endormi. Et après y a plein de choses qui se sont passées, mais maman elle nous a prise dans ses pattes, alors, on a pas vu. Et puis maman, elle nous a donné à Tia, elle nous a fait un bisou sur le front, et puis on est partie avec Tia.
L'Alma Mater hocha silencieusement la tête. Un premier schéma semblait prendre forme : pour une raison ou pour une autre, quelque chose semblait s'être passé à ce mariage, et la mère de Luna avait confié la petite alicorne à sa grande sœur.
Si on faisait le lien avec la dernière parcelle de magie des Elements qui avait été utilisée à peu près au même moment, ça pouvait se recouper. Ca pouvait aussi n'être qu'une coïncidence, mais l'Alma Mater croyait peu au hasard.
Luna, voyant son interlocutrice perdue dans ses pensées, décida qu'il était temps pour elle de reprendre son repas. Elle finit les flocons d'avoine, et se jeta goulûment sur les fruits. Elle mangea jusqu'à finir tout ce qui restait sur le plateau. Puis, elle releva un museau rougi de pulpe écrasée.
_Je...
Elle stoppa brusquement sa phrase, et plaqua ses sabots sur sa bouche. Elle ne les éloigna qu'au bout de quelques secondes.
_Nous. Quand est-ce qu'on pourra voir Tia ? Et papa ? Et maman ?
L'Alma Mater cligna plusieurs fois des yeux. Est-ce que la petite alicorne venait de se reprendre juste après avoir employé la première personne du singulier ?
_Ta sœur dort encore. Et pour vos parents...je t'expliquerai un peu plus tard. Pour l'instant, tu peux considérer que tu es en vacances.
_En vacances ? répéta Luna.
Elle jeta brusquement ses pattes en l'air, en signe de victoire.
_Ouaaais, pas d'école !
Bon, au moins on peut pas dire qu'elle prend la vie du mauvais côté, se dit l'Alma Mater.
_Je te laisse Luna, dit l'alicorne en s'éloignant du lit. Pour l'instant, je te demanderais de ne pas quitter la chambre.
_Nous sommes punie ?
_Non. Bien sûr que non. C'est juste que c'est très grand ici, je ne voudrais pas que tu te perdes. Mais si tu as besoin de quelque chose, Japet est devant la porte.
La vraie raison était plus que l'Alma Mater refusait que quiconque ne se promène dans l'Elysium sans qu'elle ne sache tout sur cette personne. Et encore trop de flou entourait le récit de la petite Luna. Elle devait s'entretenir avec sa grande sœur, et recouper des informations.
L'Alma Mater resta silencieuse jusqu'à ce qu'elle ne passe la porte de cristal. Japet la regarda l'air visiblement soucieux de savoir ce que la petite alicorne avait révélé.
_Je te dirais tout ce que tu as besoin de savoir plus tard, l'assura t-elle. En attendant, j'aimerais que tu gardes un œil sur notre petite invitée. Si elle demande quelque chose, à manger, à lire, des jouets, tu lui fournis. Elle a juste interdiction de sortir.
_Compris, tante Alma.
L'Alma Mater savait que Japet brûlait de la bombarder de questions, mais que par respect pour elle, il ne le ferait pas. L'alicorne lui fit un signe engageant de la tête, et s'éloigna de lui.
Elle déploya ses ailes, et en quelques battements, atteignit les étages supérieurs. Au début, ils avaient mis les deux sœurs ensemble, mais il était vite devenu clair, que la plus âgée, ne souffrait pas que de la fatigue. Ils l'avaient donc isolée, pour pouvoir la soigner directement, et plus prosaïquement, pour que ses cris n'empêchent pas le reste de l'aile résidentielle de dormir.
Erèbe ouvrit la porte à sa tante, et les deux alicornes pénètrent dans la pièce. A peine y avait-elle posé le sabot, que l'Alma Mater eut un mouvement instinctif de recul. La chambre sentait mauvais. Très mauvais. L'atmosphère était lourde, l'odeur de la transpiration emplissait toute la pièce. L'alicorne adolescente à la robe blanche qu'ils avaient recueillie sur une des terrasses de l'Elysium était allongée sur le flanc, en travers du lit, la crinière terne, et immobile. La sueur faisait reluire son pelage, et les gouttes de transpiration coulaient régulièrement jusque dans le lit, fonçant les draps.
La bouche de la malade – Tia, c'était bien comme ça que l'avait appelée sa sœur déjà ? -, était tordue dans un rictus de souffrance, laissant apparaître des dents crispées, qui laissaient échapper un filet de bave sur l'oreiller.
Erèbe s'approcha de l'alicorne, et dégagea doucement une mèche de son front collé de sueur. Sans même la toucher, l'Alma Mater devinait que Tia était brûlante.
_Elle va vraiment mal, annonça Erèbe, continuant sa caresse sur le front de l'adolescente. Au début, je pensais que c'était juste de la fatigue, mais y a quelque chose d'autre.
L'Alma Mater était d'accord. S'il n'était pas si rare que lors d'une arrivée à l'Elysium, le visiteur s'effondre de fatigue, surtout à cause de l'altitude incroyablement élevée de la Cité de Cristal, passer plus d'une semaine au lit, c'était rare. A la limite, dans le cas de Luna qui était une enfant, et qui avait moins de résistance qu'une alicorne adulte, ça pouvait se comprendre, mais pour sa grande sœur ?
_Tu sais tante Alma, annonça Erèbe, qui passait un linge humide sur le cou gluant de sueur de la malade, c'est pas la première fois que je vois ça. On a déjà eu des cas semblables. Juste après...
L'alicorne couleur menthe bleue prit une profonde inspiration pour finir sa phrase.
_Juste après les Événements.
Oui, maintenant qu'elle y repensait, l'Alma Mater était d'accord avec sa nièce. A la chute de Lucimare, des dizaines, et des dizaines d'alicornes survivantes s'étaient écroulées, fauchées par la fatigue, et le traumatisme. Certaines avaient pu sortir de cet état rapidement, d'autres moins. Et puis il y avait celles qui ne s'étaient jamais réveillées.
L'Alma Mater se rapprocha de la malade haletante.
_Qu'est-ce que tu as pu voir pour que ça te mette dans un état pareil, ma pauvre ? demanda t-elle à haute voix.
Bien évidemment, l'adolescente ne lui répondit pas. Mais l'expression de son visage, était des plus éloquentes.
Tia avait mal.
Le Commandant Haboob laissa son regard balayer la carte d'Etat-Major que ses aides avaient déployé devant lui, et surtout, les feuillets posés sur celle-ci.
Ils n'étaient plus guère d'une dizaine sous le toit de nuage du quartier général pégase. Les capitaines des grandes compagnies, tous en armure de combat, avaient leur casque calé sous le bras, et attendaient les instructions de leur supérieur.
Haboob n'était pas idiot, il savait bien que la plupart des officiers présents dans cette salle ne l'aimaient pas. Ils avaient tous combattu aux côtés de Tramonstane, et rare était un pégase à ne pas lui devoir la vie. Soit parce que l'ancien Commandant les avait personnellement sauvés sur le champ de bataille, par la force de ses armes, ou plus indirectement, par une décision tactique prise au bon moment.
La personnalité du pégase, et son côté grande-gueule, n'avait fait que renforcer ce sentiment de profond respect, et même d'amour, de la part de la troupe. Haboob n'allait pas le nier, lui aussi avait toujours estimé Tramonstane.
Mais la roue du destin tournait. Tramonstane était mort pendant le putsch de la Veillée Chaleureuse, et il avait fallu qu'un nouvel étalon prenne la place de Commandant Suprême. C'était ainsi.
Haboob avait remporté l'épreuve du puits, et c'était lui désormais, qui portait les armes qui faisaient de lui un des trois premiers poneys de la nation. Quoique depuis deux semaines, il pouvait se dire premier poney tout court.
Personne ne savait bien ce qui c'était passé, mais le mariage de la princesse Celestia, fille du roi Hélios, avec le prince impérial des zèbres, avait tourné au massacre. L'abbaye des Trois Sabots, qui hébergeait la cérémonie, avait été aux trois quarts détruite, et les victimes se comptaient par brassées. Et surtout, le roi Hélios, et le Chancelier Strawberry, étaient du nombre.
Un mois et demi après la mort de Tramonstane, deux des membres de la Troïka qui l'avaient connu, disparaissaient à leur tour.
Le Conseil des Trois était un régime bâti sur la complémentarité. Trois races, trois titres, trois formes de gouvernement différents. En théorie, le trône des licornes devait revenir à la princesse Celestia, fille aînée d'Hélios. Mais l'adolescente avait disparu. Sa jeune sœur aussi.
La famille royale licorne décimée, il n'y avait par définition, plus personne, pour reprendre les rênes du pouvoir. Les barons se déchiraient depuis deux semaines, chacun remontant le plus haut possible dans son arbre généalogique pour promulguer son droit à la couronne. Mais aucun n'était légitime.
L'ironie de l'histoire voulait que la duchesse Ira, dernière héritière de la princesse Platinium, meure dans l'abbaye avec le roi Hélios, et les autres invités. La seule qui avait un droit solide sur le trône n'était plus là.
En un mot, à moins de remettre le sabot sur la princesse Celestia, ou Luna, la couronne était non seulement vacante, mais surtout, ne pouvait plus revenir à personne.
Du côté des poneys terrestres, ce n'était pas au mieux non plus. La seule démocratie d'Equestria avait fait la seule chose qu'elle pouvait faire suite à la mort de son Chancelier : en appeler à des élections anticipées. Haboob ne connaissait pas en détail la politique terrestre. Mais il en savait assez pour pouvoir dire qu'elle était lente à se mettre en marche. Le prochain Chancelier ne serait pas élu avant plusieurs mois, et tous les candidats étaient bien trop occupés à faire campagne, qu'à chercher à gouverner par intérim.
Le pégase à la couleur sable en arrivait donc à une seule conclusion, peu importait le nombre de fois où il retournait la question : il restait le seul dirigeant légitime d'Equestria. Et les nuages savaient que la nation avait besoin d'un chef : on avait signalé une créature monstrueuse, patchwork de poneys et d'animaux, qui se serait réfugiée dans la forêt Evercon, non sans avoir ravagé le territoire sur son passage. Ajoutez à cela la crise diplomatique zèbre, causée par la mort du Négus, et de son fils, sur le territoire equestrien, et l'avenir de la nation était plus que jamais dans la balance.
C'était son devoir de Commandant de réagir.
Après un dernier regard sur les feuillets, Haboob les parapha avant de les tendre à un de ses aides.
_Messieurs, déclara t-il, à compter de maintenant, la loi martiale est déclarée en Equestria. A ce titre, nous disposons des pleins pouvoirs, jusqu'à la fin de crise. Les élections terrestres sont suspendues jusqu'à nouvel ordre, et l'Armée déclare caduc le titre de roi des licornes.
Certains pégases hochèrent la tête pour montrer qu'ils avaient compris, d'autres se tinrent silencieux.
_A compter d'aujourd'hui, l'Armée est la seule autorité reconnue en Equestria. Les forces de défense non pégases sont dissoutes.
_Mon Commandant ? hasarda un des officiers. Qu'est-ce qu'on fait avec les zèbres ?
_Vous me renvoyez les rayés chez eux. Blindez la frontière sud des fois qu'ils décident de devenir un peu agressifs.
Haboob sécurisait le sud de la nation pour la forme. Il n'imaginait pas l'Empire zèbre, sûrement aussi déstabilisé qu'eux, se lancer dans une guerre. Mais Haboob était un pégase. La guerre lui avait enseigné la prudence.
_Qu'il soit bien clair que toute provocation, ou insubordination de la part des civils, devra être réprimée, poursuivit le Commandant Suprême.
_Si je comprends bien monsieur, nous devenons une dictature militaire ? questionna un autre pégase.
Haboob se leva.
_Nous devenons surtout le seul rempart entre Equestria, et le gouffre. Il arrive que dans l'histoire d'une nation, une crise exceptionnelle survienne, et demande des réactions exceptionnelles. Et bien messieurs, cette crise, nous y sommes.
Il se racla la gorge.
_Le peuple va nous traiter de salopards. Qu'il crie. S'il est trop bête pour comprendre que nous devons parfois suspendre sa liberté pour le défendre, peut-être qu'il ne la mérite pas. Rompez messieurs. Nous avons une nation à défendre.
Les officiers saluèrent, et quittèrent la pièce. Resté seul avec ses aides, le militaire se rassit, prit une plume, et de l'encre.
Puis, Haboob, Commandant Suprême des pégases, et chef de la toute nouvelle Junte Militaire de Salut Public se mit à rédiger les noms d'opposants à faire arrêter immédiatement.
La sauvegarde d'Equestria ne pouvait pas perdre de temps.