Chapitre 8

Pile à l'instant où les pattes de Rainbow Dash ne furent plus en contact avec mon corps, je crus que je volais. Une demi-seconde pendant laquelle j'étais suspendu dans le vide. Puis la gravitation reprit ses droits et je débutai ma descente.

D'abord excessivement lente, la chute ne fut pas extraordinaire. C'était comme sauter et retomber sur ses pattes. J'étais ainsi certain que j'allais doucement me poser sur le plancher de nuages et m'amortir avec mes sabots. Néanmoins, au moment du choc attendu, je ne sentis rien. Je m'enfonçai dans le manteau cotonneux jusqu'à ce que mon champ de vision fut rempli de blanc.

J'accélérai encore. Dès que j'eus complètement traversé la maison de Rainbow Dash, je pris conscience de l'endroit où je me trouvais : le vide. En-dessous de moi s'étendait une vaste étendue d'herbe, à au moins dix mètres.

La vitesse s'accrut toujours, et la sensation devint...nouvelle et assez agréable. C'était la première fois que je ressentais une telle euphorie : un mouvement perpétuel sans aucune limite, sans aucun frein -à part la résistance de l'air, bien entendu. C'était grisant.

Ce fut seulement maintenant que mon cerveau analysa correctement la situation. Et elle était mauvaise, très mauvaise. Avec ma célérité actuelle, qui augmentait encore, je n'avais aucune chance de survie. La descente prit enfin une allure mortelle. Mon esprit scientifique prit toutes les mesures nécessaires pour assurer ma survie, même si elles étaient toutes futiles. J'écartai les membres et adoptai la posture de l'écureuil volant pour me ralentir. J'en vins même à chercher du regard l'endroit le moins létal pour s'écraser.

Enfin, la panique prit le dessus. Incapable d'aligner deux pensées cohérentes, je gesticulai dans le vide en criant comme un possédé. La surface d'Equestria se rapprochait toujours à toute vitesse. Je fermai les yeux et redoutai le choc.

Noir.


J'ouvris les yeux avec étonnement. Tiens, j'étais vivant. VIVANT ! Je sautai sur mes pattes. Je me tenais sur mon lit, dans ma chambre. Par la fenêtre entrouverte se déversait la lumière sanguine du soleil qui se levait -ou se couchait. Je voulais me déplacer vers l'ouverture dans le mur, mais mes jambes refusèrent de bouger. Je tremblai violemment et m'affalai sur le matelas. J'étais vivant. Je n'aurais pas dû l'être.

Bizarrement, j'étais tellement surpris que je ne m'en réjouissais même pas. Je désirais juste savoir pourquoi je ne m'étais pas éclaté sur le gazon. Je me remis debout avec plus d'assurance. Je remarquai que mon sac était toujours attaché sur mon dos. J'attrapai ma clé avec les dents et me dirigeai vers la sortie. La porte était verrouillée, comme je l'espérais, et je fis tourner la clé dans la serrure. Une fois dehors, une question me traversa l'esprit.

Et si ce n'était qu'un rêve ?

En effet, j'avais maintenant confirmation qu'on était au petit matin. Je m'étais peut-être juste endormi à la fin d'une longue journée et avoir vécu l'évènement dans mon imagination. Cependant, aucun autre souvenir de la journée précédente à part la chute ne me revint. Et elle avait l'air si intense... Aucun de mes rêves n'étaient d'aussi bonne qualité, d'habitude.

Du seuil de ma maison, je vis que l'équipe était déjà près de la mairie. Je marchai jusqu'à elle, pas encore assez sûr de mes pattes pour aller plus vite. Raindrops était là, assise tranquillement et discutant avec un collègue. Elle eut une esquisse de sourire en me voyant.

Le chef d'équipe cyan se posa à mes côtés. « Hey, l'intello ! Ça va ? » me demanda-t-elle.

« Ça dépend, » répondis-je énigmatiquement. En effet, je m'inquiétais de l'état de mon esprit. « Qu'est-ce qui s'est passé hier ? »

Rainbow Dash sourit. « Si tu te demandes si tout ça s'est vraiment passé, alors oui, ça s'est vraiment passé. » Elle me posa un sabot sur l'épaule. « Et tu t'es vraiment excusé. Donc t'es un type cool, finalement. » Elle me tendit une tasse chaude de son sabot libre. « Allez, tiens pour toi, chef. »

C'était une tasse de café. Je la pris avec gratitude et la portai à mes lèvres. Très bon, mais trop sucré à mon goût. « Il est excellent, » la complimentai-je. « T'as juste un peu forcé sur le sucre. »

Elle secoua la tête. « J'ai pas mis de sucre, Lanss... » Elle décolla. « Quoi qu'il en soit, j'attends ton bulletin ! » Elle rejoint les autres pégases pendant que je terminais mon café. Le liquide me réchauffa. La chaleur agréable ne se dissipa pas, même après avoir avalé toute la boisson, et se propagea dans tout mon corps.

J'atteignis la porte de la mairie. Je n'avais toujours pas de feuille blanche dans mon sac. Je jetais un coup d'œil à mon équipe. La plupart des membres me firent un signe amical. Rainbow Dash avait fait passé le mot, dirait-on. Je les saluai à mon tour. Les jolies juments gloussèrent.

Jolies ? Je me giflai intérieurement. C'était pas le moment de déconner. Mais je ne pouvais m'empêcher de penser que le poneys de Ponyville n'avaient rien à envier à ceux des hautes sphères de Canterlot.

Raindrops trottina vers moi et interrompit mes réflexions douteuses. Elle m'observa de ses beaux yeux bleus, puis me sourit. « Bonjour Lanss. Bien dormi ? »

« Mouais. Même si je n'ai aucune idée de comment j'ai fini dans mon lit. »

Elle rigola. « Dash t'as rattrapé, bien sûr. Mais tu t'étais évanoui, » m'expliqua-t-elle.

Ah. Un problème subsistait quand même. « Comment elle est rentrée ? La porte était fermée... »

Elle me regarda comme si j'étais un petit poulain de trois ans. « Lanss, qui utilise les portes ? » Pff, tous les mêmes, les pégases.

Elle s'approcha soudain et éleva la voix pour que tout le monde l'entendît : « Tu vas bien, Lanss ? On dirait que quelque chose te tracasse, » s'inquiéta-t-elle. Le vent faisait voleter quelques mèches bleues qui s'accordaient à merveille avec ses iris. Et avec les trois gouttes de pluie sur son flanc.

Mais qu'est-ce que j'avais aujourd'hui ? Il fallait vraiment que je me contrôle, ou alors ça allait mal tourner. Malheureusement, elle avait intercepté mon regard. « Hmm ? Tu aimes ma cutie mark ? » s'enquit-elle. Elle m'exposa alors le côté de son corps et je détournai vivement le regard en rougissant. Quelques juments s'approchèrent, curieuses. « Tu veux savoir comment je l'ai eu ? » continua-t-elle. « J'adore être toute mouillée. »

Si j'avais eu des ailes, la situation aurait pu être catastrophique. Et pour la première fois de ma vie, j'étais content de ne pas être un pégase. Trois poneys arrivèrent près de moi, dont Cloudchaser. Sa crinière était absolument sublime. Elle semblait s'inquiéter. « Lanss, tu es sûr que ça va ? Tu es tout rouge ! » me fit-elle remarquer.

Bon sang, mais qu'est-ce qui me prenait ? Raindrops se pencha et me murmura à l'oreille : « J'ai eu très froid avant-hier. À ton tour d'avoir TRES chaud. »

Les connexions se formèrent et j'assemblai toutes les pièces du puzzle. Le café. Trop sucré. « Tu n'as quand même pas... » commençai-je.

Mais si. Avec un sourire diabolique, elle me plaqua contre la porte et porta une patte à mon front. « Oh là là, t'es tout chaud ! On dirait que je t'ai refilé ma fièvre. »

La proximité me fit haleter. Son visage était tellement proche que je n'avais qu'à baisser la tête pour...

Non ! Je la repoussai prestement et fonçai à l'intérieur de la mairie. Lyra releva la tête. « Lanss ? Il y a un problème ? » Je la dépassai et galopai dans l'escalier.

Arrivé à l'étage, je tombai nez à nez avec le maire. « Lanss ? Vous êtes pressé, dis-donc ! » Ses cheveux gris tombaient de manière séduisante à côté de ses lunettes... Raaah ! Pas mon boss ! Je courrai dans mon bureau. La clé était miraculeusement sur la porte. J'avais dû l'oublier là. Encore.

Je verrouillai en vitesse la porte et m'adossai sur le panneau de bois en haletant. Même ainsi, le feu qui me consumait ne s'éteignit pas et je dus faire un effort pour ne pas retourner dans le couloir... et mettre fin à ma carrière professionnelle.

Bon, résumé de la situation : j'étais mal barré. Le seul fait de penser au café me faisait penser à Raindrops et Rainbow Dash et à...

Et justement, un éclair multicolore entra dans le bureau. Car évidemment, personne n'utilisait les portes. L'attirante jument marcha lentement vers moi. « Lanss ? Qu'est-ce qui te prend ? » Elle pencha la tête sur le côté. Et j'eus une furieuse envie de l'embrasser.

« Je... C'est... Raindrops m'a... » tentai-je, mais je ne parvenais pas à rassembler mes pensées devant ces grands yeux roses.

Mes paroles la firent frémir de colère. « Arrête un peu avec Raindrops ! C'est une jument exceptionnelle. Elle est juste un peu... impulsive. Faut pas la chercher, c'est tout. »

« C'est ça. Sinon tu reçois un piano sur la tête, » dis-je amèrement. Je n'appelais pas ça « impulsive » . J'appelais ça « dangereuse ».

« Elle t'as raconté ça ? » s'étonna Rainbow Dash. « C'est un gros mensonge, » m'apprit-elle.

« Oh, non non non. » Discuter était une distraction, mais je devais quand même me contrôler pour ne pas causer un scandale. « Twilight m'a confirmé que c'était vrai ! Elle se rappelait des plâtres... »

Elle secoua la tête. « Tu ne comprends pas. C'est Derpy qui a tout fait tomber. Mais Raindrops l'a couvert pour ne pas qu'elle perde son poste. »

Ah bon ? Je l'avais peut-être mal jugée finalement. Et comme par hasard, le pégase jaune et bleu entra dans la pièce. La température sembla monter de deux millions de degrés. Elle avança en se déhanchant furieusement. Arrivée près de moi, elle posa ses deux pattes avant sur mes épaules. « Lanss ! Dis-nous ce qui t'arrive. On t'aidera du mieux que l'on peut. » Rainbow Dash acquiesça, de toute évidence étrangère aux manigances de la sournoise. Avoir deux pégases femelles aussi proches de moi fit sauter les loquets de mon imagination. Je ne verrais plus jamais les sandwichs de la même façon.

Mais hors de question de céder ! Non seulement parce que ça scellerai ma défaite totale, mais surtout parce que je perdrais mon poste, ma réputation et je risquais même un petit séjour dans le donjon royal. Je me dégageai et m'éloigna à reculons jusqu'à ce que je sente le bois du cadre de la fenêtre dans mon dos. J'étais coincé.

Mes deux cauchemars se rapprochèrent dans un bon ensemble, Rainbow véritablement inquiète, Raindrops très amusée par mes difficultés. Mais pourquoi elles sont aussi canon ? me lamentai-je. Que ce fut véridique ou bien que ce fut une cause du produit aphrodisiaque qu'avait versé Raindrops dans mon café, la conséquence était le même. J'allais soit craquer, soit devenir fou. Dans quelques secondes. Je ne pus m'empêcher de reluquer les courbes athlétiques du chef d'équipe. Je me demandai vaguement si c'était vraiment le pégase le plus rapide d'Equestria. Claque mentale.

« Tu commences à me faire peur, Lanss. Mais qu'est-ce que t'as, à la fin ! » s'impatienta-t-elle. « Je te jures que tu peux nous faire confiance. »

« Oui, parfaitement, » rajouta Raindrops. Sale hypocrite.

Je devais trouver une solution, et vite. Mon esprit commençait à perdre le contrôle de mon corps et je pouvais d'un moment à un autre commettre un acte que je regretterais toute mon existence. Que ferait Dimirah ? Mon ami avait en effet un don pour se sortir des situations les plus tarabiscotées quand il s'agissait de filles. Je me retournai vers la fenêtre. Très simple. Il s'envolerait. Tout compte fait, j'aurais bien voulu être un pégase. Je fis le calcul.

Une baffe/Une patte cassée.

En fait, je risquais plus qu'une baffe. Et j'étais à l'étage.

Une baffe, mon travail, ma maison/Deux pattes cassées.

Il était même probable que je me fisse arrêter. Je me penchai et fixai le sol en contre-bas. Très bas. Toute l'équipe me regardait anxieusement.

Une baffe, mon travail, ma maison, un séjour au donjon/Trois pattes cassées.

Je pris ma décision. Je pris appui sur la chambranle et déglutis. Avant le grand saut, je lançai par-dessus mon épaule : « Désolé Raindrops, mais c'est match nul. » Puis je bondis.

Chapitre 9

« Tu as fait QUOI ? »

Ughhh. Aïe. J’avais mal et j’avais sommeil. Est-ce que le poney qui venait de gueuler pouvait se taire ?

« Comment as-tu pu faire une chose pareille ? » C’était trop demander, apparemment.

J’ouvris les yeux. Tout ce que je voyais était blanc : le plafond, le mur, les rideaux, mon lit et la jument à côté de moi. Une coiffe marquée d’une croix rouge était posée sur sa crinière rose.

« Ah, vous êtes réveillé ! » remarqua-t-elle. Elle s'approcha de moi et m’inspecta de la tête aux sabots. « Hmm… Pas de lésions apparentes… Température normale… Rythme cardiaque normal… Eh bien, Monsieur Sita, à part vos pattes, vous n’avez rien ! »

A part mes pattes ? Je baissais les yeux sur elles et remarquai que celle avant gauche était enfermée dans un plâtre aussi blanc que le reste. Je relevai la couverture qui me recouvrait et constatai que ma patte arrière droite était dans le même cas. Comment diable avais-je pu me casser deux membres diamétralement opposées ?

« Et où est-ce que t’as trouvé ça, au juste ? » reprit la voix qui m’avait sorti de mon sommeil. Je la reconnaissais maintenant ! C’était celle de Rainbow Dash, pas contente du tout. Elle parlait avec un autre poney qui ne répondait pas assez fort pour être compris, mais j’avais une assez bonne idée de son identité.

« Elles commencent à m’énerver ces deux là ! » se fâcha l’infirmière. Elle trotta jusqu’à la porte en face de mon lit, l’entrebâilla et passa la tête par l’ouverture. « Silence, ici ! Y a des patients qui essaient de dormir, » les gronda-t-elle. Elle revint ensuite près de moi. « Certains poneys désireraient vous voir. Etes-vous d’accord ? » s’enquit-elle.

« Oui, bien sûr. » Je me demandai de qui elle parlait.

Elle hocha la tête et sortit de ma chambre sans refermer la porte. Je percevais maintenant clairement les phrases des deux juments derrière le mur. « Lanss est prêt pour une visite, » annonça-t-elle.

« Génial ! Merci, infirmière Redhearts, » dit Rainbow Dash.

« Tu penses que je devrais passer la première ? » demanda Raindrops. Je ne la voyais pas, mais l’anxiété était palpable dans sa voix.

« Evidemment. Mais une seconde ! Donne-moi ça, » ordonna Rainbow sèchement.

« Roh, qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ? Je vais l’enfoncer dans sa bouche pour qu’il me saute dessus ? Et en plus, il ne peut même pas ! » rigola-t-elle. Immonde créature.

« On sait jamais, » répliqua sa supérieure. « Et tu ne m’as toujours pas dit d’où ça vient. »

Raindrops soupira. « Twilight m’a dit que c’est Zecora qui le lui a donné. Mais je n’ai aucune idée de qui c’est. »
« Hum… Zecora, hein ? Ca explique des choses. Bon, » s’impatienta Dash. « Dépêche-toi d’aller le voir. Je suis sûr que tu lui manques horriblement, » plaisanta-t-elle.

« Mais… euh… Et si jamais il ne veut pas me voir, moi ? Ou s’il m’insulte ou… » paniqua la jument jaune.

« Je crois que j’ai la solution. Et je garde le bocal, on ne sait pas ce que tu peux encore faire avec. » J’entendis des claquements d’ailes s’éloigner. Pas plus d’une minute plus tard, Rainbow revint. « Voilà ! Tu es sûre d’être pardonnée, maintenant. »

« Oh ! Merci, Dash ! » J’aurais juré qu’elle dansait de joie.

« C’est rien, je lui dois bien ça. » Bruits de sabots sur le plancher. « Je vais voir ce que fais l’équipe. Bonne chance ! » souhaita le poney à la crinière arc-en-ciel.

Quand elle fut partie, Raindrops fit les cent pas devant la porte. « Et maintenant ? Et maintenant, je fais quoi ? Je mets du sucre, du lait ? Non, il a trouvé l’ancien trop sucré. Et là, j’entre ? Mais s’il me jette dehors ? Si... Argh ! » s’énerva-t-elle, sans savoir que j’entendais tout. « Allez, Raindrops. Un peu de courage ! A trois. Un… Deux… Deux et demi… Deux trois quarts… » Elle inhala longuement et pénétrai dans ma chambre.

Elle avança lentement vers moi, les oreilles aplaties sur son crâne de honte. Elle portait un sac sur le dos. C’était le mien.

« Salut Lans ! » commença-t-elle maladroitement. Je remarquai qu’elle marchait à trois pattes. Arrivée à ma hauteur, je compris pourquoi : elle me tendit une tasse de café fumante.

Bien entendu, je me contentai de la fixer.

Lorsqu’elle perçut ma méfiance, elle tenta de m’apaiser immédiatement. « Y a rien dedans, Lanss. Je te le jure. » Pour prouver ses dires, elle porta la tasse à ses lèvres et but une longue gorgée. Par sa grimace, j’en déduis que ce n’était pas sa boisson préférée.

Elle tendit à nouveau le sabot et me présenta l’anse. Moyennement convaincu, j’acceptai néanmoins le présent et goûtai le breuvage. Il était exquis. Je sentais une très légère touche sucrée qui n’enlevait rien à l’arôme puissant de la graine torréfiée. Les dosages étaient parfaits.

Raindrops s’assit par terre. « Je suis désolée, » dit-elle simplement.

Je posai la tasse sur ma table de chevet. « Non non, c’est rien. J’avais juste le choix entre une semi-tentative de suicide et un séjour dans la prison royale. Mais c’est vite oublié. » Ma dernière phrase avait été prononcée avec le plus d’acidité possible.

« Lanss, je… »

« Oui, tu es désolée. Et tu penses sincèrement qu’il suffit de t’excuser pour que tout soit arrangé ? On deviendra les meilleurs amis du monde après mon petit séjour d’une semaine à l’hôpital ? C’est ça ? » Les yeux bleus de Raindrops commencèrent à scintiller, une vision qui me fit le plus grand bien. Je pris une nouvelle gorgée de café pour continuer, comme si c’eût été du whisky. Je brandis ma patte plâtrée. « TU CROIS QUE DIRE CES TROIS FOUTUS MOTS FONT FAIRE DISPARAÎTRE CES DEUX FOUTUES FRACTURES ? »

C’en fut trop pour elle, et elle éclata en sanglots.

Paradoxalement, cette vision me brisa le cœur. Certes, c’était à cause d’elle que j’étais allongé ici et mon esprit scientifique me cria de continuer à l’insulter jusqu’à ce qu’elle s’écroule sur le sol en bois, mais… Quelque chose d’étranger me força à la réconforter.

« Raindrops, ne pleure pas. S’il te plaît. » La force qui me poussa à dire ça était inconnue, incontrôlable et méritait trois baffes.

Elle essuya ses larmes d’un revers du sabot et se détourna. « Non, tu as raison. Je suis un poney… horrible. Tu… tu dois ne plus jamais… vouloir me voir, » hoqueta-t-elle. « Tu me hais… »

Oui, je la haïssais pour des raisons plus que valables. Et pourtant, plus elle s’éloignait, plus le fait d’avoir crié sur elle me parut un crime impardonnable. « Non, reste ! » implorai-je.

Ce n’était qu’un murmure inaudible, mais Raindrops l’entendit. Elle s’arrêta et hésita pendant quelques instants. Elle avait le choix : partir ou rester. J’essayai de me persuader que les deux m’allaient. Soit ne plus jamais la revoir, soit l’enfoncer plus. Mais je réalisai que j’étais en fait perdant dans les deux cas. Mon envie de l’avoir à mes côtés devenait presque insoutenable, et rester dans la même pièce qu’elle m’était insupportable. Finalement, elle rebroussa chemin et se rassit à mes côtés.

Un silence embarrassé s’installa. Aucun de nous deux ne souhaitait prendre la parole. Nous attendions que l’autre débutât une conversation. Je me dévouai : « Je suppose que l’on est quitte, maintenant. »

Elle secoua la tête. « Non, et on ne le sera jamais. Tu ne pourras jamais faire pire que ce que je t’ai fait. »

« On a tous fait quelque chose que l’on regrette. L’important, c’est que rien ne grave ne soit arrivé. » Elle toisa ma patte cassée. « Enfin, rien de très, très grave. Imagine que Cloudchaser ne t’ait pas trouvée, hier matin. » Elle frissonna à cette pensée. « Tu vois ? Nous deux, on a fait de belles bêtises ces derniers jours. Il faut juste éviter de les recommencer. »

Je n’avais aucune idée d’où me venait ces mots ou ma subite relativisation des évènements. Cependant, à mesure que les minutes s’égrenaient, je devins de plus en plus convaincu que c’était le bon état d’esprit.

Ne sachant que dire, Raindrops posa mon sac par terre. « Tes affaires. L’infirmière a dû te l’enlever pour te poser les plâtres. T’as gardé tes lunettes, par contre. »

Je portai mon sabot valide à mes yeux. Effectivement, mes fidèles lunettes grises étaient bien là. Quand je retirai ma patte, le visage de Raindrops était beaucoup plus proche du mien que tout à l’heure. Les battements de mon cœur s’accélérèrent sensiblement. Elle referma ses dents sur la monture des verres et la retira délicatement de mon visage.

Elle posa les lunettes à côté de la table et m’observa étrangement. « T’es plutôt mignon sans elles. »

Elle vira au rouge cramoisi juste après s’être rendu compte de ses paroles et je sentis que je m’empourprais aussi. Elle recula vivement alors qu’elle cherchait désespérément un moyen de changer de sujet.

« Hé, euh… Lanss ? D’où viens ton prénom ? » demanda-t-elle soudainement.

Parler était mieux que de réfléchir au moment passé, donc j’entrepris de lui répondre. Beaucoup de gens s’étaient déjà posé cette question, mais très peu connaissaient l’histoire.

« C’est assez bête. Déjà, je m’appelle Lanss Sita. Lanss n’est pas vraiment un prénom et Sita n’est pas un nom de famille. Lanss est une sorte de diminutif. »

Raindrops pencha la tête sur le côté. « Ah ? Ton prénom est Lanss Sita, alors ? C’est collé ? »

« Non non ! » Je pris une grande inspiration et m’expliquai : « Mon père avait choisi pour moi un prénom absolument super génial, selon lui. Il a dit qu’il venait d’un pays lointain. Il l’aimait tellement qu’il a refusé de le révéler à ma mère avant ma naissance. » Je vérifiai qu’elle suivait toujours, puis continuai : « Mon père avait écrit les lettres en grand sur des feuilles individuelles. Le soir de l’accouchement, mon père avait un peu bu avec des potes. » Raindrops me lança un regard dubitatif. « D’accord, il était complètement bourré. Quand il a appris que ma mère était déjà à la clinique, il a vite ramassé ses feuilles et a galopé pour la voir. Malheureusement, dans son état, il s’est ramassé dans les rues de Canterlot et les feuilles se sont mélangées. Il ne s’en est pas rendu compte et a cru que le charabia formé était mon prénom. Ma mère n’a pas objecté, vu qu’elle ne l’avait jamais entendu. Il était toujours saoul quand il a fait mon acte de naissance et a fait enregistrer les lettres dans le désordre. Et ça a donné Lanss Sita. »

Raindrops était sans voix. « Et… Quel est ton vrai prénom ? »

Je secouai la tête. « On ne l’a jamais su. Le lendemain, mon père a voulu rectifier l’acte, mais il n’arrivait plus à se souvenir de l’ordre des lettres. Il m’a présenté ses excuses des milliers de fois… »

« Mais c’est horrible… » commenta-t-elle. « Tu n’as jamais su comment tu t’appelles ? »

« Si, » rétorquai-je. « Je m’appelle Lanss Sita. Et c’est mon VRAI prénom. Du moins, ça l’est devenu, » soupirai-je.

Nouveau silence. Je me perdis quelques instants dans des souvenirs datant de plusieurs années. Le jour où mon père m’avait annoncé la nouvelle. Celui où je lui ai dit que je m’en fichais, que ça ne changeait rien, et qu’il m’avait tout simplement enlacé, en larmes.

Tout d’un coup, Raindrops se pencha vers moi et regarda sur le côté, l’air gênée. « Dis, Lans… » Elle se balançait d’une patte à l’autre. « Dans la lettre que tu m’as écrite, l’autre jour… » Je dressais les oreilles, ma curiosité piquée. « Le poème est de toi ? » lâcha-t-elle.

Sa question me surprit grandement. Je répondis simplement. « Oui. »

La même tristesse que j’avais vu quand elle était alitée chez Rainbow Dash voila ses yeux. « Et… Tu n’en penses pas un mot, n’est-ce pas ? »

Là encore, je fus franc et bref. « Non. » Mais après mûre réflexion… « Sauf peut-être un vers. » Une étincelle s’alluma dans son regard. Mu par rien d’autre que mon instinct, je plaçai gentiment un sabot sur sa nuque et la tira vers moi. « Tu es la plus belle pégase d’Equestria, » lui susurrai-je à l’oreille.

Elle tourna la tête, les yeux humides. Sans un mot, nos têtes se rapprochèrent avec une lenteur presque irréelle. J’eus le temps d’apprécier chaque mèche de sa crinière, chaque reflet de ses iris saphir, la courbe délicate de son nez…

Puis nos lèvres se touchèrent.

Le temps s’arrêta. Je fermai les yeux ; la vue était désormais inutile. La douce pression sur ma bouche et le léger arôme de citron –quoi d’autre ?- suffisaient amplement à me rendre le poney le plus heureux d’Equestria. Je sentis Raindrops enrouler ses pattes autour de mon cou. Notre étreinte se resserra. Elle entrouvrit ses lèvres et…

Quelqu’un siffla.

Comme frappés par la foudre, nous nous redressâmes et tournèrent la tête vers la porte grande ouverte. Rainbow Dash se tenait dans l’encadrement, un sabot à la bouche. Nous nous éloignâmes l’un de l’autre et sourîmes bêtement.

« Rainbow… T’es douée pour casser l’ambiance. » Partagé entre la gêne et la colère, je finis par retomber mollement sur l’oreiller.

« Oh, mais je ne suis pas la seule, » avoua-t-elle mystérieusement.

Elle se décala. Le couloir derrière elle était rempli de pégases qui gloussaient et ricanaient. Ils se mirent à siffler tout ensemble et transformèrent l’hôpital en immense caisse de résonnance. Bizarrement, ceci –et probablement rien au monde- ne parvint pas à effacer le sourire scotché sur mon visage.

Le concert improvisé fut interrompu par un énorme « SILENCE ! » de l’infirmière qui chassa prestement les poneys. Elle entra dans la salle, visiblement énervée et renvoya aussi la jument cyan.

« Désolée, mais l’heure des visites est terminée, » annonça-t-elle doucement.

Raindrops décolla, les joues toujours un peu rouges. « Bon ben… A demain, Lanss. » Elle m’embrassa sur la joue et se dirigea vers la porte.

« A demain. Et le café était vraiment parfait. Avec l’exacte quantité de sucre. »

« Je n’ai pas mis de sucre dans le café. Et je n’ai rien mis dedans ! » assura-t-elle. « Je l’ai goûté, tu te souviens ? Et j’ai laissé le bocal avec… »
Nos regards se croisèrent. Dans un instant de lucidité commune, je pus quasiment lire le cheminement de sa pensée et les déductions qui s’assemblaient pour former LA révélation. Les mêmes connexions se formaient dans mon esprit. Le café. Sucré.

« RAINBOW DASH ! »

Comme je l'avais précédemment annoncé, c'est le début d'une histoire plus longue. Je vais quand même faire une pause dans l'écriture. J'ai néanmoins trouvé une fin qui vous permet d'imaginer la suite: soit le couple reste, soit ils se tabassent dès que l'effet de l'aphrodisiaque s'estompe...
On peut donc considérer cette histoire comme complète tant que je ne lancerai pas l'autre... Dans TRES longtemps.

...l'anagramme de Lanss Sita. Bonne chance pour le trouver!

Pose-toi plutôt la question de ce qui ce serait passé si Rainbow ne serait pas intervenu  
Je suis pas sûr que j'aurais pu poster la fic ici...

Une goutte de désir ? Vu que ça parle de la relation de Raindrops et de Lanss ?

Ca fait un peu titre Arlequin mais c'est le premier qui m'est arrivé à l'esprit quand j'ai pensé à rebaptiser ta fic. Je dois être un amateur d'Arlequin

edit : non, je sais, je sais ! Relation Orageuse