Hey, c'est encore moi avec la traduction d'un article de Headless Horse. Il y a quelques temps, j'en avais traduit un sur la magie dans FiM, et voici la suite, parue en Août dernier. Alors que nous sommes à quelques heures seulement du lancement de la saison 3, qui va notamment introduire pas mal de worldbuilding avec le crystal empire, je pense que l'article et tout à fait pertinent! Enjoy.
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Il faut savoir tenir sa langue.
Ah là là, qu’est-ce qu’on aime le worldbuilding, hein ?
En tant que fans, rien ou presque ne suscite autant notre enthousiasme que de voir le monde de
My Little Pony : Friendship is Magic étoffé et développé à l’écran. Nous adorerions comprendre en détails comment les pegasi contrôlent les conditions météorologiques ou comment les poneys terrestres font pousser leur nourriture, ou comment les sœurs souveraines en sont venues à vaincre Discord et à régner sur la terre d’Equestria. Quand est diffusé un nouvel épisode qui s’attarde sur des détails tels que la fondation de Ponyville ou l’existence d’un mystérieux personnage historique nommé Star Swirl the Bearded, des spéculations effrénées se propagent d’un bout à l’autre du fandom.
Et cependant, la série s’interdit toujours de donner toutes les explications dont nous aurions besoin pour comprendre pleinement ces sujets. Elle nous laisse toujours sur notre faim. Et c’est là son cruel et frustrant secret :
l’Ambiguïté.
Les scénaristes de
FiM, connaissant le pouvoir qu’ils détiennent sur leurs fans, refusent avec sagesse de développer et clarifier les allusions qu’ils nous font miroiter, et l’ambigüité que cela crée nous rend tellement désespérés d’en savoir plus que nous comblerons nous-même les blancs si c’est nécessaire.
Je ne suis pas un scénariste de
FiM, cependant, et je vais donc élaborer
ad nauseam.
Une fois qu’on y a goûté…Vous pensez certainement que plus une série dévoile son univers, mieux c’est pour les fans. Pas vraiment.
Que tout ne soit pas dit nous fait tous languir de connaître le reste qui n’a pas été explicité. C’est la marque de scénaristes que la confiance en leur création rend capables de mener leurs fans à la baguette en distribuant au compte-goutte des détails sur l’histoire de l’univers ou des personnages.
C’est peut-être une conséquence du fait que le dessin animé vise une audience jeune : les scénaristes savaient qu’ils n’avaient pas à « vendre » l’univers comme s’il s’agissait d’une nouvelle série de science-fiction ayant à faire ses preuves face à des licences déjà célèbres et bien établies. Tout ce qu’ils avaient à faire, c’était toucher l’imagination des spectateurs. Cela permit à Lauren Faust et à ses collaborateurs de ne pas avoir à créer une documentation écrite exhaustive, à la façon de J. Michael Straczynski, pour l’adapter ensuite à l’écran afin d’être sûr que rien ne soit laissé de côté.
Ce n’est pas ce genre de série. Son développement est bien plus organique que celui de bien des séries comparables, en particulier celles destinées aux adultes. Faust a dit à Bronycon qu’« au nom de ce processus organique, je n’aime pas fixer quelque chose à moins que ça n’apparaisse dans un épisode ». Le développement d’un personnage secondaire ou d’un aspect de l’univers n’aura lieu que si une certaine intrigue le nécessite, et alors seulement ce développement apparaitra dans le script de l’épisode en question. Par conséquent, même
Faust ignore qui sont les parents de Celestia et Luna.
Cela ne rend pas nécessairement la série
meilleure ; mais ça la rend meilleure
pour les fans. En particulier, cela crée des conditions idéales à la créativité qui caractérise le fandom adulte de cette série depuis le début. Fan-fictions, fan-art, musique de fans… Tout cela est favorisé par
l’absence de worldbuilding et non par une profusion de détails.
Il y a quelques temps, j’avais écrit qu’une des grandes forces de la série est qu’elle reconnait le worldbuilding comme un outil puissant, à utiliser avec parcimonie :
- Citation :
- Même si les fans adorent le worldbuilding, en faire trop peut détruire le charme d’un univers s’il repose en grande partie sur ses mystères. De nombreux aspects du monde des poneys ont été laissés inexplorés, alors que les scénaristes en avaient amplement l’opportunité avec des épisodes qui se centrent spécifiquement sur eux.
Les fans ont bâti leur communauté entière sur la base de spéculations effrénées à propos de la nature du monde des poneys. Si les scénaristes n’avaient pas mis dans la série que des indices, s’ils avaient établi des règles et pris le temps de tout expliquer, cela n’auraient peut-être pas simplement privé la série de son mystère – cela auraient bien pu empêcher ses fans adultes de la trouver suffisamment intéressante pour la suivre. Comme le dit le vieil adage de showbiz, « laissez-les toujours sur leur faim » ; cette série sait exactement où s’arrêter avant que l’intérêt des fans ne commence à se dissiper. Alors que le fandom de Friendship is Magic entre dans sa seconde année, plus grand et plus solide que jamais, il semble que la série soit vigilante à ne pas commettre une telle erreur.
A ce moment-là, j’avais en tête des thèmes plus larges comme la façon dont fonctionne l’univers – la nature de la magie licorne, par exemple. Mais cela s’applique tout aussi bien à des personnages ou à des passages historiques spécifiques. Dans
FiM, toutes ces choses capturent l’imagination des fans et favorisent la créativité spéculative comme peu d’histoires fictives y parviennent, surtout celles dont l’univers et les évènements historiques sont exhaustivement détaillés.
Prenez
Star Trek, par exemple. C’est une licence dont la trame de science-fiction exige que son univers soit minutieusement exposé, jusqu’aux détails techniques du fonctionnement des transporteurs ou des déflecteurs. Des intrigues toutes entières de certains épisodes sont centrées sur du « charabia technique » – et le résultat est un genre de fandom très particulier, enclin à discuter et à apprécier les scénarios et les personnages tels qu’ils apparaissent à l’écran. Il y a beaucoup de fan-fictions, bien sûr, mais elles mettent généralement en scène des personnages déjà établis ayant de nouvelles aventures dans des territoires encore inexplorés (assez souvent de manière parodique), ou ayant des histoires d’amour définitivement non-canons les uns avec les autres. L’univers, avec son
Manuel Technique officiel et son cours historique alternatif soigneusement explicité, laisse peu de place à l’imagination des fans eux-mêmes.
Le fandom de
Star Wars, par contraste, est bien plus libre et obéit à moins de règles. C’est largement dû au fait que l’univers est beaucoup plus ouvert et que son aspect technique est moins clarifié à l’écran (ce n’est pas grâce à la récente intervention de George Lucas). Les fan-fictions sur
Star Wars ont tendance à mettre en jeu des évènements historiques et à créer de vastes extensions à l’univers – d’où le système « Holocron » agressivement normatif qui établit les niveaux de canonicité de « l’Univers Étendu », dont le contenu est en général issu de créations ayant débuté comme de simples fan-fictions. Les films ont créé un univers vaste et séduisant mais se sont abstenus d’en expliciter tous les détails une fois pour toute – et cela a stimulé la créativité des fans, de la même manière que les
poneys l’ont fait.
Les licences de fiction varient considérablement le long de cet axe. Certaines histoires sont conçues pour être appréciées tel quel, et ne laissent quasiment aucune place à la spéculation. Le monde de J.R.R. Tolkien est un exemple d’univers développé avec une telle obsession du détail qu’il n’y a littéralement aucun espace laissé aux fans pour jouer ; malgré toute sa popularité et son succès critique, la relation entre le monde de Tolkien et ses fans est presque entièrement à sens unique. Non seulement les évènements historiques et les personnages sont présentés avec moult détails dans les livres eux-mêmes, mais il y a une bibliothèque entière de matériaux supplémentaires dans des appendices et autres travaux non publiés par l’auteur qui attestent qu’il n’y a pas un seul aspect de l’univers laissé inexploré. Les fans adorent
Lord of the Rings, bien sûr, mais c’est une histoire que l’on apprécie en s’immergeant dans le canon (ou en le parodiant), plutôt qu’en imaginant ce qui a bien pu se passer dans les intervalles laissés de côté. Parce qu’il n’y en a pas.
FiM est, de ce point de vue, complètement à l'opposé de Tolkien, même si, sur des détails tels que la magie (comme discuté dans "La Magie, C'est Comme Ça"), la série s'inspire davantage de la tradition de Tolkien que, disons, du monde mécaniste et extrêmement détaillé de J.K. Rowling.
FiM donne très peu de détails sur le cours historique et le fonctionnement de l'univers, et se limite à ce qui est nécessaire à l'intrigue. En faisant cela, la série ne fait qu'inviter les fans à combler eux-mêmes les trous.
Une recherche rapide dans n’importe laquelle des archives de fan-fictions
poney révèlera des centaines, voire des milliers d’histoires écrites par des fans en prise avec le mystère des princesses Celestia et Luna – qui étaient leurs parents, comment sont-elles arrivées au pouvoir, comment sont-elles entrées en conflit avec Discord, qui était Star Swirl the Bearded, et comment les évènements montrés dans « Hearth’s Warming Eve » s’accordent avec le mythe raconté au début du premier épisode – sans parler de la nature exacte des 1000 ans d’emprisonnement de Nightmare Moon. Une fan-fiction de ce genre, quel que soit le travail qu’elle ait pu nécessiter de la part d’un fan créatif, risque à tout moment d’être rendu caduque par une nouvelle information donnée dans la série. Certaines de ces histoires ont été balayées d’un revers de main par « Luna Eclipsed », qui remis abruptement Princesse Luna en scène et lui donna une personnalité unique et colorée, développant sa brève apparition à la fin des épisodes pilotes – et cependant, il ne répondit à aucune question au sujet de sa vie avant l’emprisonnement, ou même à pourquoi sa réaction au costume Star Swirl de Twilight fut-elle si perplexe et énigmatique.
- Spoiler:
« Vous avez mesme fait les clochettes. » Clairement, elle en sait bien plus à propos de Star Swirl que Twilight elle-même.
Mais l’important, c’est que si la série avait directement raconté toute l’histoire, en expliquant tous ces détails historiques (comme tant de fans disent le vouloir), la grande majorité des fan-fictions que tant de gens ont pris plaisir à écrire et à lire n’auraient jamais existé – n’auraient jamais
pu exister.
C’est
l’ambiguïté de l’univers qui nous rend tous si enthousiastes. Il soulève des questions mais n’y répond jamais ; et le monde est si riche et évocateur de détails nouveaux jamais expliqués (mais toujours gardés cohérents les uns avec les autres) que les fans peuvent à peine s’empêcher d’imaginer ce qu’ils pourraient être.
On croit connaître un poney…Lauren Faust, à Bronycon, nous a récemment livré de nouveaux détails sur le développement de la série (passez jusqu’à 2 :44) :
https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=UztWnWOdAyc
Il se révèle que Scootaloo, que l’on voit à travers deux saisons déployer une habileté prodigieuse sur son scooter propulsé par ses propres ailes, mais qui reste adorablement incapable de voler, était destinée
à ne jamais pouvoir voler. Elle était, en fait, censée être perçue comme un personnage ayant un handicap physique – un peu comme un enfant avec un fauteuil roulant dans un dessin animé typique des années 90. Il était prévu qu’à un moment donné, un épisode se centre sur son « inaptitude » pour l’amener, sans doute, à accepter ses limites dans un épisode « à message » réconfortant, une histoire comme
A Wish for Wings That Work de Berke Breathed ou l’épisode de
Futurama « The Cyber House Rules ».
Et cependant, cet aspect fondamental du personnage de Scootaloo n’a jamais été explicité dans la série – ou, du moins, ne l’a pas encore été. Ce qui veut dire que les scénaristes sont parvenus à réaliser l’exploit d’avoir le beurre et l’argent du beurre ; ils ont créé un personnage auquel les fans handicapés peuvent s’identifier
sans que ce soit le moins du monde évident pour tous. Sa nature de pégase en fait une jolie métaphore : soit elle ne peut pas voler simplement parce qu’elle est trop jeune, soit elle ne peut pas voler parce que ses ailes ont un problème. Mais dans tous les cas, lorsqu’elle fonce dans la rue à toute allure sur son scooter et utilise une planche de bois comme rampe de lancement pour réaliser une acrobatie aérienne impeccable (mais qui manque de décapiter plusieurs passants), elle ne fait pas simplement montre d’un talent peu commun – elle retourne une situation malheureuse à son avantage. Ce qu’elle accomplit est non seulement difficile pour des pegasi en état de voler, c’est quelque chose que seul un pégase sans ailes valides prendrait la peine de faire : un autre pégase de son âge se contenterait de voler. Cette distinction est passée au-dessus de la tête de la quasi-totalité du fandom jusqu’à la récente révélation de Faust.
Mais ce n’est pas tout. L’« inaptitude » de Scootaloo n’est pas du tout montrée comme faisant obstacle à son bonheur, mais elle lui permet plutôt de s’exprimer d’une manière unique, en dépensant son énergie dans des activités au sol comme la danse ou le scooter. Cela en fait un modèle convaincant pour nombre de spectateurs physiquement handicapés qui rejettent l’idée selon laquelle, simplement parce qu’ils sont confrontés à des épreuves inhabituelles, ils devraient inspirer la pitié ou être désespérés toute leur vie. Scootaloo est le poney le plus joyeux (ou peut-être le deuxième plus joyeux) de la série entière, que ses ailes fonctionnent ou pas.
Et la beauté de la situation est que les spectateurs peuvent la voir de deux façon : soit comme une jeune pégase qui est simplement impatiente d’atteindre l’âge où elle sera inévitablement capable de voler, soit comme un poney définitivement clouée au sol qui a, sans heurt et sans plainte, transformé son désavantage en un aspect enviable et merveilleux de son identité.
C’est ambigu.
- Spoiler:
Pas vraiment le stéréotype du personnage handicapé.
Cela laisse cependant les scénaristes dans une situation difficile. Seront-ils en mesure d’aborder la question du handicap de Scootaloo comme Faust espérait le faire ?
D’une certaine manière, c’est une mauvaise décision quelle que soit la manière dont le sujet est traité. S’ils présentent une histoire dans laquelle Scootaloo surmonte son handicap et apprend à voler comme son héros Rainbow Dash, alors cela envoie un message troublant – que, en supposant qu’il soit possible de le faire, un individu inapte devrait être « réparé ». C’est un sujet très sensible pour beaucoup de gens. C’est particulièrement sujet à polémique si on considère des exemples comme le coureur olympique sud-africain Oscar Pistorius, que ses jambes-prothèses n’ont jamais incommodé ou déstabilisé émotionnellement.
- Citation :
- Pistorius se rappelle quelque chose que sa mère, Sheila, leur a dit une fois, à lui et à son frère Carl, alors qu’ils étaient petits. ‘Elle a dit, « Carl, tu mets tes chaussures et Oscar, tu mets tes prothèses, c’est tout. » Je n’ai pas grandi en pensant que j’avais un handicap. J’ai grandi en pensant que j’avais des chaussures différentes.‘
Scootaloo, qui profite de la vie même sans ailes fonctionnelles, est similaire à Pistorius, qui refuse joyeusement de se définir par son handicap ; qu’il ne soit pas objet de pitié ni consumé par la douleur du fait de sa condition est une partie plus fondamentale de son histoire que le fait qu’il finisse par réaliser son rêve olympique. Si jamais Scootaloo se révèle capable d’apprendre à voler, cela risque de contredire tout cet aspect réconfortant de son personnage – ou, pire, de nous dire qu’elle n’a, en fait, jamais été « inapte ».
Et cependant l’autre alternative – une histoire qui laisse Scootaloo incapable de voler mais qui en profite pour explorer en détails la nature de son « inaptitude » – prend le risque de s’aventurer en terrain d’« Episode Très Spécial ». Cela risque d’être aussi condescendant que les dessins animés des années 90, dont le traitement scénaristique bien intentionné d’un enfant perpétuellement joyeux mais cloué à une chaise roulante, appelé « Speedy » ou « Wheels » ou quelque chose du genre, puait les bons sentiments et la morale bien-pensante.
Le pire, c’est à quel point cela affaiblirait le personnage actuel de Scootaloo, qui peut être vu des deux manières : comme un handicapé (ayant des ailes qui ne marcheront jamais mais qui profite néanmoins pleinement de la vie), ou simplement comme un pégase qui a du mal à éclore et refuse de retarder sa quête de vitesse pour une raison aussi triviale que la maturité physique. Quel que soit le choix des scénaristes, ils développeraient légèrement l’univers de
FiM, ce qui le rendrait irrévocablement un petit peu moins merveilleux et mystérieux. Ce serait comme dire que les pegasi peuvent voler grâce à des midichloriens. Pour le bénéfice à court terme de l’intrigue d’un seul épisode, ils sacrifieraient leur meilleur atout : l’ambiguïté.
Mais en attendant, cela fait de Scootaloo un personnage plus intéressant, pas vrai ?
Tournez sept fois votre langue dans votre bouche avant de parlerIl faut beaucoup de retenue aux scénaristes d’une série comme
Friendship is Magic pour ne pas donner aux fans ce qu’ils réclament à cor et à cri, sous forme de détails historiques, d’explications sur la nature de la magie, de monologues sur les motivations des personnages, et d’autres choses dont nous n’avons même pas connaissance. Toutes ces choses, les scénaristes les gardent en tête tout le temps, et il est crucial de considérer que le fait que ces détails n’aient pas encore été portés à l’écran ne signifie pas que les scénaristes n’y aient pas pensé. Nous pouvons être certains que personne, pas même le plus prolifique des auteurs de fan-fictions, n’a autant réfléchi à développer un tableau cohérent du monde
poney que les scénaristes de la série eux-mêmes.
Les fan-fictions
poneys ont tendance à se maintenir aussi proche que possible du canon établi par la série, même si elles ajoutent des éléments non canoniques comme la guerre, la mort, des histoires d’amour, et des crossovers avec d’autres univers de fiction ou avec le monde des humain. Aussi exotiques que ces éléments puissent être, ils développent rarement l’univers
poney à la façon dont les scénaristes eux-mêmes sont habitués à le faire. C’est pour ça que le concept des « pommes zap » a pris tant de fans par surprise – elles semblaient briser les règles de l’univers, ou en tout cas amenaient de nouveaux phénomènes surnaturels comme des arbres électriques qui poussent en une fraction de seconde et des monstres tels que les « timber wolves », et elles ont apporté une dynamique entièrement nouvelle à notre compréhension de la magie des poneys terrestres, d’un genre que les écrivains de fan-fictions ne sont généralement pas enclin à mettre en œuvre dans leurs textes. C’est une forme de narration visuelle informelle et insouciante qui fonctionne bien à l’écran mais beaucoup moins sur papier, tout comme la magie licorne non verbale de Twilight Sparkle par opposition aux litanies d’incantations à prononcer et aux arcanes détaillées du maniement de la baguette magique dans
Harry Potter.
En bref, les scénaristes du dessin animé ne travaillent pas avec les mêmes règles que celles qu’utilisent les écrivains de fan-fictions. Ils peuvent négligemment faire mention de choses comme « système de sécurité à rayons lasers » et « poneys zombies », des éléments qui effarouchent tout de suite les auteurs de fan-fictions. Et ce n’est pas étonnant : ils écrivent pour des
dessins animés, pas des textes qui s’étalent sur des douzaines de chapitres. De ce fait, ils suivent un chemin créatif complètement différent de celui emprunté par la plupart des fans, qui veulent juste en voir plus du monde habité par leurs poneys favoris. Il y a ici un conflit de styles inévitable. Les dessins animés fonctionnent sur de vagues indices sous-entendus qui permettent aux animateurs de créer des séquences drôles ou mignonnes. Les fan-fictions fonctionnent sur des niveaux de détails obsessifs. Les deux ne sont pas vraiment compatibles.
Mais l’un dépend de l’autre. Sans l’ambiguïté soigneusement laissée dans la série par les scénaristes, le vaste paysage des créations de fans – des histoires aux images, des bandes-dessinées à la musique – serait inévitablement bien plus aride.
Mon message, dans tout ça, est simplement que le worldbuilding, aussi passionnant soit-il, est une tactique à court terme de création d’intrigues qui vient souvent aux dépends d’une stratégie à long terme d’implication des fans. Nous, les fans, pouvons bien réclamer à cor et à cri plus de détails sur le monde d’Equestria, et à bon droit – il y a tant de choses qui ont été laissées inexpliquées, et il y a tant de fantastiques histoires qui pourraient en émerger, que l’on parle du rôle énorme et précédemment inaperçu que les pegasi jouent dans le processus qui fait monter l’eau jusqu’aux usines à nuages de Cloudsdale (comme on le voit dans « Hurricane Fluttershy ») ou de quel analogue réel correspond au rôle que jouent les Wonderbolt dans l’organisation militaire de Canterlot (comme sous-entendu par l’apparition de Soarin en uniforme lors du mariage royal). Mais pour utiliser une autre métaphore fatiguée, le worldbuilding est comme la poule aux œufs d’or : chacun de ces œufs a de la valeur spécifiquement à cause de sa rareté. Nous devons attendre patiemment qu’ils arrivent en temps voulu, et nous devons en être satisfaits même –
surtout – s’ils soulèvent plus de questions qu’ils ne donnent de réponses.
Le pire qui pourrait arriver serait de recevoir toutes les réponses en même temps ; aussi passionnant que ça en ait l’air, nous nous réveillerions le lendemain en découvrant que, ayant tué la poule aux œufs d’or, nous n’avons plus rien à savourer dans l’attente, et plus aucun espace restant pour spéculer sur ce qui pourrait avoir été.
"
Alors, qu'en pensez-vous?