CHAPITRE I
L'inconnue
Dans la sombre étendue de l’Everfree forest, l’orage s'abattait dans un bruit infernal.
Le soleil semblait ne pas s’être levé ce jour-là, et il ne faisait pas bon de se trouver sous les feuillages sombres et angoissants de cette forêt dense, qui semblait plus maléfique que jamais.
Seuls les éclairs apportaient par intermittence une luminosité satisfaisante, qui permettait d’apercevoir à travers les trombes d’eau, le paysage forestier en plein déluge.
Chaque interstice entre les branches, les troncs et les feuilles, étaient bouchés par la pluie ruisselante, qui dégoulinait aussi sur les rochers et formait des mares boueuses sur le sol, déjà naturellement spongieux par endroits.
Personne n'aurait envisagé de sortir de chez lui, si une tempête de cette ampleur avait eu lieu à Ponyville.
Mais il y en avait aussi une, pourtant, là-bas, à la différence notable qu'elle avait été volontairement créée par les pégases, lesquels pouvaient à tout moment y mettre fin. Cela n'empêchait bien évidemment pas les habitants du village de préférer leurs confortables maisons à ce mauvais temps.
Pourtant, malgré les éléments déchainés, il y avait encore dehors des âmes vivantes, et certaines l’étaient plus ou moins que d’autres.
Parmi ces créatures malmenées par la météo, il y en avait une qui était unique en son genre.
Depuis trois jours, elle traversait la forêt et peinait, de plus en plus, à tenir debout sur ses quatre longue pattes, lesquelles ne ressemblaient plus qu’à de vulgaires bâtons recouverts d’une peau violette transfigurée par la pluie.
Sous ses deux longues d’ailes gorgées d’une eau qui les défiguraient, un ventre immense signalait que l’animal allait manifestement bientôt mettre bas. Cela le gênait, d’ailleurs, dans sa progression.
Gravée sur son flanc, une rose de couleur rouge sang, à la tige épineuse, symbolisait le talent de l’Alicorne.
Nombreuses auraient été les interprétations possibles d’une telle cutie mark.
Au bout d’un long cou, une fine tête au museau élancé arborait deux yeux d’un bleu profond, surplombés par une étrange corne spiralée.
Sa large base se projetait vers l’avant, avant de repartir en courbe vers l’arrière, telle une moitié de croissant.
Cette singulière excroissance frontale générait une faible lumière verte, dont les reflets créaient un aspect singulier à la crinière bleu sombre de la jument. Et la pluie incessante rendait son allure légèrement angoissante.
Éreintée, la bête s’effondra contre un tronc. Mais mal lui en prit : des poils restèrent accrochés à l’écorce, et si cela ne changeait pas grand-chose sous ce déluge, il en serait autrement lorsqu’elle pourrait enfin rejoindre une atmosphère plus conviviale.
Ses forces lui manquaient tant, qu’elle n’avait guère d’autre choix que de sacrifier une partie de son pelage, en échange d’un peu de repos.
Soudain, la foudre s’abattît non loin de là. Sous la frayeur, elle put avancer pendant encore quelques minutes, avant de s’effondrer de nouveau.
Son enfant ne demandait qu’à naître, et elle doutait fort d’atteindre un village avant l’accouchement.
Sa détermination faiblissait de seconde en seconde. D’insoutenables visions toutes plus glauques les unes que les autres lui traversaient l’esprit, et commençaient à la faire pleurer.
Une bourrasque la tira de ses pensées morbides, et elle recommença à progresser dans la forêt, sous une tempête qui n’en finissait plus, et la vidait littéralement de ses forces. Elle s’écroula en sanglotant quelques dizaines de mètres plus loin.
Au bout d’un temps qui lui parut interminable, elle se rendit compte qu’il manquait quelque chose : le bruit.
Celui-ci était beaucoup moins présent que plus tôt, le ciel semblait avoir épuisé son stock d’eau. Le beau temps ne tarderait donc pas à revenir.
Cette découverte emplit l’Alicorne de joie, en lui donnant un regain inespéré d’énergie, qui lui permit de relativiser sur son état. Certes, elle était mal en point, mais elle était vivante et son enfant aussi.
Il lui fallait continuer, au moins pour pouvoir accoucher.
Après quelques centaines de mètres qu’elle franchit difficilement, elle entendit des voix et sut que son calvaire allait finalement toucher à sa fin.
Elle tenta de signaler sa présence, mais sa voix n’avait plus aucune puissance après cette effroyable tempête.
Fort heureusement pour elle, les promeneurs semblaient s'approcher. C’est à ce moment que son sabot se coinça dans une racine, et qu’elle chuta, brisant bruyamment des branches fragilisées par l’humidité excessive, avant de s’étaler violement sur le sol moussu et inondé. La dernière chose qu’elle vit fut un jeune poulain blanc, à la crinière bleue, qui se précipitait vers elle en criant quelque chose qu’elle n’entendit pas. Puis elle perdit conscience.
« Papa, viens voir ! Vite ! Viiiite !!»
L'appel pressant avait brisé le silence de la forêt. Night Light ne pris pas le temps de réfléchir : il fallait agir, son fils ne s’affolait jamais sans raison. D’autant plus que même si ce n’était qu’à quelques dizaines de mètres de la lisière, ils se trouvaient bien dans l’Everfree Forest, ce qui était en soi une excellente raison de répondre au moindre appel de son fils.
Ainsi, la licorne, en bon père de famille, se précipita vers la voix de son enfant. En quelque bonds il l’avait retrouvé et Célestia soit louée, il n’avait rien. La créature qu’il pointait du sabot, en revanche, ne semblait pas être en si bon point.
Un corps, violacé, était allongé dans une position grotesque. Son pelage et ses ailes avaient été ruinés par l’eau, et une bien étrange corne, dont émanait une aura verdâtre, éclairait sa tignasse bleue sombre particulièrement emmêlée.
La première comparaison qui venait en tête était celle d’une carpette violette et d’une serpillère bleue ayant passé trois semaines dehors à subir les éléments.
Night Light regarda son fils étonné, les yeux grands comme des sabots, avant d'abaisser son regard vers l’équidé allongé sur le sol.
De sa vie, il n’avait vu une chose pareille et jamais il n’avait vu un être vivant dans un état aussi déplorable. Il ne pouvait pas se permettre de le laisser ici.
Délicatement, à l’aide de la magie que lui conférait sa corne, il fit léviter l’Alicorne ruisselante.
«Viens, Shiny. Nous devons la sauver.
-Mais où va-t-on ? Rétorqua le jeune poulain.
-À la maison. Répondit-il rapidement la licorne.»
L’enfant ne chercha pas à contredire son père, malgré son envie évidente de poursuivre l’excitante promenade —ils étaient dans l'Everfree Forest, tout de même !—, il avait bien compris que l’inconnue avait besoin de soins, et c’était urgent.
Son père courrait aussi vite que la délicatesse, dont il devait faire preuve pour soulever magiquement la vagabonde le lui permettait.
En moins d’une minute ils étaient déjà sortis de la forêt, et c’est au triple galop qu’ils arrivèrent quelques temps plus tard, à l’hôpital le plus proche.
Leur entrée surprit beaucoup de monde dans le centre hospitalier. De nombreux patients qui attendaient leur tour se levèrent en protestant, pour demander aux nouveaux arrivants de faire la queue, comme tout le monde.
Néanmoins, la vue de la jument en lévitation les fit tous se rassoir : tout le monde avait compris qu’elle méritait amplement de passer avant eux.
La réceptionniste, une ponette beige à la Cutie Mark masquée par sa blouse blanche, regardait bouche bée le spectacle et ce n’est que lorsque Night Light agita son sabot devant ses yeux, qu’elle sortit de son état d’hébétement.
«C… c’est pour une urgence ? Bredouilla-t-elle, l'air perdue.
-À votre avis ? Ne put s’empêcher de répondre l’étalon, même si en temps normal il aurait choisit une réponse plus douce.
-Oui, certes. Enfin, allez à l’étage, euh, salle… salle… trois ! Indiqua-t-elle après avoir farfouillé dans son bureau un bref instant.
-Merci bien.»
La ponette tira une ficelle qui pendait derrière elle et un son de cloche retentit.
Night Light et son fils montèrent les escaliers, toujours accompagnés de l’Alicorne soulevée en l'air.
Ils arrivèrent devant une nouvelle ponette en blouse, qui observa brièvement la scène de ses yeux dorés, avant de faire signe de poser la patiente sur le brancard disposé derrière elle.
Night Light s’exécuta, pour lui c'était une délivrance: le sort lui avait coûté beaucoup d'énergie et l'avait exténué.
L’infirmière lui fit signe de venir avec elle. Le poulain s’apprêtait à les suivre, lorsque son père lui dit :
«Shining Armor ! Va à la maison, et explique la situation à Velvet. Ensuite, rejoignez-moi ici. Il va falloir que l'on s’organise, je pense que nous allons bientôt devoir héberger d'ici peu, une nouvelle tête à la maison…
-D’accord, Papa ! J’y vais !»
Une petite heure plus tard, le poulain au pelage blanc revenait, accompagné d’une licorne gris clair à la crinière mauve et blanche, qui semblait plutôt anxieuse.
Et il y avait de quoi: son fils ayant été très pointu sur la description de l’inconnue, elle craignait fortement d’arriver pour ne trouver qu'un cadavre violet.
Elle ne s’attendait par contre absolument pas, à arriver en plein au milieu d’un accouchement.
L’inconnue était réveillée, et les médecins ne savaient plus où donner de la tête : il fallait impérativement qu’elle reprenne des forces, et la naissance de sa progéniture n’allait absolument pas en ce sens.
Choquée par la scène, Twilight Velvet préféra sortir de la pièce et attendre à côté.
Elle emmena Shining Armor avec elle, en priant Celestia pour que l’Alicorne et son enfant survivent.
Il lui semblait injuste qu’elle n’ait eu aucun problème à son accouchement, alors que cette inconnue était à deux doigts d’en mourir.
Elle aurait juste voulu que cette jument puisse mettre bas simplement, mais la tempête avait semblé en décider autrement.
Elle demanda alors une énième fois à son enfant de lui réexpliquer, comment ils avaient découverts l’infortunée.
Le poulain blanc à crinière bleue se fit une joie d’expliquer longuement comment il avait entendu un bruit, puis accouru en direction du bruit pour découvrir la masse violette.
Il avait presque fini son récit, lorsque l’infirmière aux yeux dorés vint les chercher pour leur annoncer la situation. Rongée par l’angoisse, la licorne grise la pria d’aller directement au fait.
La mère était en vie, et tirée d’affaire, tout comme l’enfant, Célestia soit louée.