Cher Journal,

Je ne puis attendre davantage pour te conter mon après-midi. Alors que nous étions de sortie dans les rues de Nombreux Galops, j'ai réussi à échapper à la vigilance de Madame la Gouvernante et comme promis, "il" m'attendait près de la fontaine de la place. Tu ne devineras jamais ce qu'il m'a offert... Des fleurs de lys! Nous nous connaissons à peine et il sait déja quelles sont mes fleurs préférées!

Lorsqu'il a posé sa tête contre la mienne, j'ai senti mon coeur qui battait à la vitesse d'un cheval au galop. Je crois... Cher journal, je crois que je suis tombée amoureuse. C'est si beau! Mon coeur saigne à l'idée de devoir attendre toute la semaine pour le revoir à nouveau

Je dois te laisser, cher Journal et confident. Madame la Gouvernante nous appelle pour le souper.

Ton fidèle porte-plume,

VALENTINE.

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"C'est toi qui a écrit cela, Valentine? demanda Madame la Gouvernante, d'un ton posé, marchant à pas lents et sonores autour de la jeune jument blanche et rose qui répondait au nom de Valentine. C'est de ta plume que viennent ces textes?"

"Ils viennent de moi, répondit celle-ci, en baissant la tête; elle était debout et seule au centre de la pièce terne et froide de Madame la Gouvernante. Ce sont bien là mes pensées, que j'ai consignée dans ce journal, jour après jour."

La gouvernante, une licorne âgée et grise comme la pierre, prenait des pages au hasard du petit cahier, et les lisait distraitement, tout en commentant ce qu'elle voyait. "Et tu as vu un étalon, ma chère petite Valentine. Tu as vu un étalon, en te dérobant à notre surveillance, alors que tu sais que c'est interdit, n'est-ce pas?"

"Mais je..."

"SILENCE!" la coupa la gouvernante. Elle jeta le cahier dans la cheminée qui ronflait; du coin de l'oeil, Valentine vit son fidèle confident, des mois entiers de sa propre existence, se désintégrer en poussière d'étoile et partir vers les cieux. "Tu n'en auras plus besoin; après tout, tu n'es plus une pouliche. Ce sont les pouliches qui se livrent à ce genre de facéies, n'est-ce pas d'accord?"

La jeune licorne blanche opina tristement, silencieuse; Madame la Gouvernante saisit une longue et fine canne de bambou de sur son bureau, et se rapprocha de sa pensionnaire. "Tu as désobéie, Valentine, dit-elle en effleurant le flanc blanc et tendre du bout de sa baguette; au contact, celle-ci eût un sursaut. Tu as désobéie, et toute désobéissance mérite correction. Lève la queue."

Valentine déglutit, et serra les dents; mieux valait obéir sans discuter, songea t-elle en découvrant l'arrière de son corps délicat.

"Que ceci te serve de leçon à l'avenir, la sermonna la gouvernante en levant la baguette de sa magie; le premier coup claqua, arrachant un cri aigü à la pouliche blanche, marquant son postérieur pâle d'une vilaine marque rouge. Une pouliche désobéissante est condamnée à finir à la rue, tu ne voudrais pas finir à la rue, n'est-ce pas?"

Une autre onde de douleur cinglante raidit Valentine quand le deuxième claquement s'éleva, pile au même endroit que le premier; les larmes aux yeux, celle-ci se mordit les lèvres pour ne pas crier, et subit les assauts de la badine sur son séant, l'un après l'autre.

La gouvernante avait frappé fort, à coups secs et précis, là où la chair était déja entamée; de fines coulées de sang dessinaient des trainées rouges le long des jambes tremblantes d'une Valentine larmoyante, abattue par la douleur et la honte. "J'espère que tu auras retenu la leçon, chère Valentine. A présent, va; il est l'heure de faire ta toilette et de rejoindre ta chambre. Prends garde à ne pas t'égarer, car tu sais ce qu'il t'attend si tu divagues encore."

Valentine sortit du bureau de la gouvernante, regardant le sol devant elle en silence; son derrière la faisait souffrir, et elle boîtait désormais. C'est dans cet état qu'elle rejoignit la chambre du pensionnat pour pouliches qui était la sienne, et qu'elle partageait avec trois autres pensionnaires; il était tard, et toutes semblaient déja profondément endormies.

Le pensionnat des Jolis Nuages etait une institution aussi ancienne que Nombreux Galops, qui lui devait une bonne partie de l'éducation de ses habitants. Ce bâtiment, lourd d'histoire, était immense, percé de minuscule fenêtres. Une gigantesque grille en barrait l'entrée, ou plutôt la sortie, et ne s'ouvrait que pour la rentrée et pour Noel, seul jour où les pouliches de bonne familles étaient autorisées à consommer le dîner ailleurs que dans la salle commune, avec leur famille. L'éducation se faisait selon des principes éprouvés, qui avaient depuis longtemps prouvés leur efficacité, comme la carotte, l'absence de carotte et les coups de bâton. Les bienfaits de la littérature classique cultivaient les têtes, les recettes de cuisine forgeaient les sabots agiles pour leur future vie d'épouse, et les lourds livre de règles portés à bout de pattes pendant des heures a genou dans la cour sur les dalles usées inculquaient a ces muscle tendres la force nécessaire à passer le balai dans une demeure honorable. Ainsi se forgeaient les juments de ce siècle, ainsi disparaissaient les pouliches égarées, qui devenaient femmes dociles, laissant leur enfance s'éloigner pour toujours dans l'oubli.

Valentine Intrigue ouvrit la porte de la chambre avec une douceur infinie, pour ne pas risquer de réveiller ses copénitentiaires et subir leurs quolibets. Ses quatre sabots effleuraient le sol avec la grâce d'une plume sur le papier tandis qu'elle se dirigeait vers son lit. Valentine Intrigue était belle. Sa silhouette légère luisait dans le rayon de lune qui fendait les barreaux, éprouvant les courbes de ses hanches. Elle s'arreta un instant pour regarder dehors, regarder la lente descente des flocons de l'autre coté de la vitre, et les lueurs de Nombreux Galops qui perçaient au travers de la brume hivernale. Peut etre qu'Il etait là, et la regardait. Mais si c'etait le cas, dans un froid pareil, il ne tiendrait pas longtemps. Pourquoi les règles etaient-elles si dures? C'etait bientot Noel, le dernier qu'elle passerait au pensionnat où elle séjournait depuis trop longtemps. Plus qu'une année, et elle serait enfin libre.. Libre de s'unir avec quelqu'un qu'elle n'aimait pas, que sa famille aurait choisi, et de terminer sa vie en épouse soumise, ou finir à la rue, au choix. Elle retint une larme, épongea ses cuisses blessées dans l'obscurité, avec un vieux chiffon qui traînait au sol, et se hissa douloureusement dans son lit.

-Hey! psst! ho!

Valentine força sur les ronflements, pour ne point avoir à répondre à l'importune, peu importe qui c'était.

-Hé, la bouffeuse de grenouille! ho! hey! psst! *kof kof* *snrrrrrt* Heeey!

C'etait l'emmerdeuse. Oh non, pas elle. Une lumière jaillit dans l'obscurité, etouffée par les murs gigantesque de la chambre. La jument blanche ferma les yeux, mais trop tard. celle qui avait allumé la bougie avait vu qu'elle etait éveillée.

-Eteins ça ou nous y auront droit toute les deux, murmura Valentine.

L'autre jument, a la robe bleue, affalée mollement sur son lit à échelle, la toisait d'un regard amusé. Souhaits Sifflotés, car c'était son nom, se coula lentement le long d'un des pieds du lit et se rapprocha a pas feutrés.

-Comment vas tu, Intrigue ? Je t'avais bien dit que le romantisme, ça commence par des lettres enflammées, et ça finissaient toujours par un grand mal de fesse, hahaha!

-Fous lui la paix, Souhaits Sifflotés, croassa Brumeuse d'en dessous de ses draps. Toi, personne n'a jamais voulu de toi et personne ne t'as jamais rien écrit. Tu es juste jalouse, c'est tout.

La licorne bleue regarda dans la direction d'ou venait la voix, interdite, se dirigea avec la discretion du fauve vers un lit ou quelqu'un se camoufla a toute vitesse dans les couvertures et martela quelque coups de sabots au hasard.

-Toi, sabots-de-salope, dit-elle en retournant auprès de la licorne blanche, tu n'as rien a faire ici. Tu es une gène pour ce pensionnat, pour ses occupants, pour la société entière. Tu finira dans la rue, comme une paysanne, et personne ne voudras de toi. Tu n'est même pas belle, cracha t'elle rageusement. La patte arrière de Valentine clotura la conversation, sous les yeux grand ouverts de Madame la gouvernante, qui achevait sa ronde. Leur regarde se croisèrent, Valentine hurla quelque chose de non intelligible, paniquée, et la baguette de bambou s'abattit de nouveau, avec une force inimaginable.


-Cette sale pouliche est une plaie.

Madame la gouvernante terminait son thé, pendant qu'une des employée du pensionnat passait la balayette contre les bois cirés en approuvant distraitement.

-Elle rêve, elle n'écoute pas. Elle entretient des liaisons avec un étalon, mais de grâce, qu'avons nous fait pour mériter ÇA? Laissez les chiens en liberté, ce soir. Cette sale petite exaltée. Si ça venait a se savoir, quel SCANDALE!

-Elle est comme une mauvaise herbe qui pousse entre les dalles de la cour. Des dalles si propres, si agées, qu'elle pervertit. Elle pousse de plus en plus loin, et entrainera d'autres avec elle. Elle n'est bonne qu'a être arrachée, et jetée dehors.

La gouvernante se tut. Elle avait eu l'impression de voir passer quelque chose par la porte entrebaillée, quelque chose d'aussi léger que du coton.

L'heure de la pause etait passée. Elle termina son thé, attrapa la cloche et se dirigea en direction de la sortie.

Au bout du couloir, assise sur le sol, une licorne blanche la regardait.

Sale vieille peau. Je ne suis pas une mauvaise herbe.

Je suis une fleur.

Fleur de Lys.

fleur de lys ? j'en déduis que le gars doit ètre fancy pants. Super, je voulais justement en savoir plus sur eux